« J'ai voulu l'oublier cette fille. L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y suis jamais parvenue. » Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l'été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S'appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu'elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd'hui.
" J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres.
Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était de les faire épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les cavons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait...
"
Depuis des années, mes amis me pressent, en m'écoutant raconter mes histoires, d'écrire mes Mémoires. Je me suis toujours refusé à cette tâche que je sentais pourtant, moi-même, nécessaire.Les souvenirs ici réunis ne s'apparentent donc pas à des Mémoires, au sens classique du terme, mais à un mélange de ce que j'ai baptisé «lieux de mémoire» et «ego-histoire». Pour mieux dire, ils relèvent de ce que l'on appelait autrefois un roman d'apprentissage.Je me suis spontanément concentré sur les traits singuliers de mes jeunes années : la guerre de neuf à treize ans pour un enfant juif ; une famille faite d'individualités fortes ; une impossibilité à me plier aux normes universitaires sans pouvoir cependant m'en détacher ; une initiation amoureuse des moins banales ; une ouverture à plusieurs types de vie qui n'a pas été offerte à tous. Une jeunesse qui m'a fait ce que je suis.P. N.
Peu de temps après la mort de son frère Bernard, Daniel Pennac entreprend la lecture publique d'une célèbre nouvelle de Melville, Bartleby le Scribe. Or, Bernard et lui partageaient la même passion pour le personnage de Bartleby. En faisant alterner ici des extraits de Bartleby tel qu'il l'adapta pour le théâtre et les anecdotes sur Bernard, souvenirs tendres, drôles ou cinglants, répliques pleines d'humour et de lucidité, Daniel Pennac dresse le portrait de ce frère disparu, vrai complice, irremplaçable compagnon de sa vie. Et il révèle une étrange proximité entre les deux personnages. Comme Bartleby, Bernard pratiquait un retrait de plus en plus délibéré de la vie sociale, un refus catégorique d'ajouter à l'entropie. A ce témoignage de tendresse fraternelle Pennac mêle des réflexions passionnées sur le théâtre, le jeu et les masques sociaux. Le tout forme un livre d'amour singulier, à la fois profond, lucide et bouleversant.
Les faits se présente comme l'autobiographie non conventionnelle d'un écrivain qui a déconstruit notre idée de la fiction. Cette oeuvre, d'une franchise inventive et irrésistible, dévoile le rapport intime et complexe que Philip Roth entretient avec l'art et l'existence. Sur le fil entre souvenirs des faits et souvenirs imaginés, l'auteur de La contrevie se concentre sur cinq moments fondateurs de son identité d'homme et de romancier:son enfance à Newark dans les années 1930 et 1940; son expérience de l'américanité à l'université; son premier mariage chaotique; l'indignation de la communauté juive américaine à la parution de Goodbye, Colombus; et enfin, la découverte dans les années 1960 d'une liberté créatrice qui donnera naissance à Portnoy et son complexe.Mais comment écrire à propos des faits de l'existence lorsqu'on a passé une vie entière à changer l'ordinaire en extraordinaire avec une originalité et une audace si féroces? Comment un romancier chevronné, jamais mieux servi que par «la chair de la fiction», peut-il encore prétendre se présenter « sans fard »? Tel est le questionnement au coeur du livre que Roth explore avec malice et clairvoyance. Et ce n'est pas un hasard si c'est à son héros de papier et alter-ego, Nathan Zuckerman, qu'il donne ici le dernier mot.Cette nouvelle traduction redonne tout son lustre à la verve incomparable d'un des plus grands auteurs américains de sa génération. Elle révèle avec habileté l'humour, l'intelligence et la précision d'un texte qu'il est précieux de redécouvrir aujourd'hui, à la lumière de toute une oeuvre littéraire.
« Arrêtez. Il y en a trop. Ça n'est plus crédible.
J'ai beau savoir, et ma cousine a beau me fournir de son côté des informations toutes plus criantes de vérité, je refuse de continuer l'inventaire. La nausée me prend, la tête me tourne.
Ils sont trop nombreux, c'est trop systématique. Et pourtant jamais pareil.
Pourquoi tenter de reconstituer la généalogie de ces chaînes d'abus, de meurtres psychiques, de saccage, pourquoi se faire du mal en cherchant à s'approcher au plus près de ce qui s'est vraiment passé? Parce qu'il faut raconter ce que ces gens si bien élevés, ces bons bourgeois français, se sont autorisés à faire subir à leurs rejetons, petits, fragiles, tellement dépendants d'eux. Et tâcher de le dire dans le détail. Omettre ou minimiser la réalité serait encore ménager les agresseurs. Il faut aussi essayer de comprendre, analyser. Expliciter comment sur quatre générations - et je n'écris peut-être que pour stopper la malédiction -, en toute impunité, tant de personnes ont instrumentalisé, maltraité leurs enfants, sans jamais être inquiétées.
La loi des grands nombres me délie soudain de ma peur, de mes hontes et du silence imposés. » A l'issue de la parution de Noces de charbon à l'automne 2013, une cousine lointaine de Sophie Chauveau prend contact avec elle, éberluée de constater que la romancière semble avoir subi une enfance et une adolescence similaires à la sienne, c'est-à-dire totalement saccagées par les comportements incestueux de leurs pères. Cette coïncidence fait tristement écho à des rumeurs entendues dans leurs familles respectives sur des ancêtres eux-mêmes soupçonnés de crimes sexuels. Elles commencent alors une sorte d'enquête, épouvantable et nécessaire inventaire dressant peu à peu la liste d'une telle quantité de pervers et de victimes dans cette famille hors normes que leur témoignage unique et édifiant prend une force inouïe.
En 1947, John Steinbeck et Robert Capa voyagent quarante jours en URSS, de Moscou à Stalingrad en passant par la Géorgie et l'Ukraine pour un reportage destiné au New York Herald Tribune.Ce journal traduit par Philippe Jaworski, est pour la première fois publié en français, dans son intégralité avec les photographies de Capa.
Pour se défendre dans un procès qu'il s'intente à lui-même, l'auteur fait défiler au galop un passé évanoui. Il va de l'âge d'or d'un classicisme qui règne sur l'Europe à l'effondrement de ce « monde d'hier » si cher à Stefan Zweig. De Colbert, Fouquet, Bossuet ou Racine à François Mitterrand, Raymond Aron, Paul Morand et Aragon.
Mais les charmes d'une vie et les tourbillons de l'histoire ne suffisent pas à l'accusé :
« Vous n'imaginiez tout de même pas, que j'allais me contenter de vous débiter des souvenirs d'enfance et de jeunesse ? Je ne me mets pas très haut, mais je ne suis pas tombé assez bas pour vous livrer ce qu'on appelle des Mémoires. » Les aventures d'un écrivain qui a aimé le bonheur et le plaisir en dépit de tant de malheurs cèdent peu à peu la place à un regard plus grave sur le drame qui ne cesse jamais de se jouer entre le temps et l'éternité, et qui nous emportera.
Écrivain, chroniqueur, journaliste et philosophe, Jean d'Ormesson est né en 1925. Il a longtemps mené de front une carrière de journaliste, principalement au Figaro, une carrière de premier plan à l'Unesco et sa carrière d'écrivain. Il a été élu à l'Académie française en 1973. L'essentiel de son oeuvre est publié aux Éditions Gallimard, en particulier dans la Bibliothèque de la Pléiade.
«Une journée où je n'écris pas a un goût de cendres», disait-elle. Simone de Beauvoir (1908-1986) fut philosophe, romancière, théoricienne du féminisme, militante anticolonialiste, elle fut la moitié du «couple existentialiste» (et mythique) qu'elle forma avec Sartre, et elle fut aussi, bien sûr, une des grandes mémorialistes de notre temps. Lécriture de soi a toujours été présente dans sa vie. Dès ses dix-huit ans, elle tint un journal intime. Elle continua sa vie durant, par intermittence. C'est la volonté de raconter son amie d'enfance, Zaza, et la douleur liée à sa disparition qui font se concrétiser son désir autobiographique. Commencées en 1956, les Mémoires d'une jeune fille rangée paraissent en 1958. Ce livre allait devenir le premier volume d'une vaste et ambitieuse entreprise mémoriale. Pourtant, à l'origine, il devait se suffire à lui-même : Simone de Beauvoir y avait assouvi son ambition de «totalité». Mais il amorça un processus d'écriture qui allait se déployer sur un quart de siècle. «On ne peut jamais se connaître mais seulement se raconter.» Des Mémoires à La Cérémonie des adieux (1981), six ouvrages couvrent pratiquement toute l'existence de Beauvoir, de sa naissance à la mort de Sartre en avril 1980. S'y succèdent toutes les modalités du récit de soi. L'autobiographie dans Mémoires d'une jeune fille rangée, où elle retrace la conquête de son autonomie et fait revivre son désir d'adolescente : «devenir un écrivain célèbre». Les mémoires, récit d'une vie dans sa condition historique, avec La Force de l'âge (1960), qui suit le parcours du «Castor» de 1929 à 1944 - dix années de liberté et de bonheur brisées par la guerre, et par la prise de conscience d'une sorte d'aveuglement -, puis La Force des choses (1963), où le passé remémoré finit par rejoindre le moment de la rédaction et où l'écriture de soi rallie l'écriture du monde. L'autoportrait, dans Tout compte fait (1972), où la stricte chronologie le cède au thématique. Le témoignage enfin, dans La Cérémonie des adieux, où Beauvoir évoque les dix dernières années de la vie de Sartre. Au centre, Une mort très douce (1964), court et admirable récit consacré à la maladie et à la disparition de sa mère. L'oeuvre mémoriale de Simone de Beauvoir ne cessa d'enlacer l'Histoire. «Répertoire des rêves d'une génération», embrassant la presque totalité du XX? siècle, elle fut souvent lue comme un document, un précieux témoignage sur une époque. «Ses souvenirs sont les nôtres, disait François Nourissier ; en parlant d'elle, Simone de Beauvoir nous parle de nous.» Le temps est sans doute venu de la lire autrement, comme une oeuvre littéraire. On a parfois reproché à Beauvoir sa sèche précision, la monotonie de son style ou bien encore une écriture trop «intellectuelle». C'était ne pas voir que ce style, recherché par elle, relevait de la mise à distance du monde et de la volonté de faire entendre sa propre voix, vivante.
«Une journée où je n'écris pas a un goût de cendres», disait-elle. Simone de Beauvoir (1908-1986) fut philosophe, romancière, théoricienne du féminisme, militante anticolonialiste, elle fut la moitié du «couple existentialiste» (et mythique) qu'elle forma avec Sartre, et elle fut aussi, bien sûr, une des grandes mémorialistes de notre temps. Lécriture de soi a toujours été présente dans sa vie. Dès ses dix-huit ans, elle tint un journal intime. Elle continua sa vie durant, par intermittence. C'est la volonté de raconter son amie d'enfance, Zaza, et la douleur liée à sa disparition qui font se concrétiser son désir autobiographique. Commencées en 1956, les Mémoires d'une jeune fille rangée paraissent en 1958. Ce livre allait devenir le premier volume d'une vaste et ambitieuse entreprise mémoriale. Pourtant, à l'origine, il devait se suffire à lui-même : Simone de Beauvoir y avait assouvi son ambition de «totalité». Mais il amorça un processus d'écriture qui allait se déployer sur un quart de siècle. «On ne peut jamais se connaître mais seulement se raconter.» Des Mémoires à La Cérémonie des adieux (1981), six ouvrages couvrent pratiquement toute l'existence de Beauvoir, de sa naissance à la mort de Sartre en avril 1980. S'y succèdent toutes les modalités du récit de soi. L'autobiographie dans Mémoires d'une jeune fille rangée, où elle retrace la conquête de son autonomie et fait revivre son désir d'adolescente : «devenir un écrivain célèbre». Les mémoires, récit d'une vie dans sa condition historique, avec La Force de l'âge (1960), qui suit le parcours du «Castor» de 1929 à 1944 - dix années de liberté et de bonheur brisées par la guerre, et par la prise de conscience d'une sorte d'aveuglement -, puis La Force des choses (1963), où le passé remémoré finit par rejoindre le moment de la rédaction et où l'écriture de soi rallie l'écriture du monde. L'autoportrait, dans Tout compte fait (1972), où la stricte chronologie le cède au thématique. Le témoignage enfin, dans La Cérémonie des adieux, où Beauvoir évoque les dix dernières années de la vie de Sartre. Au centre, Une mort très douce (1964), court et admirable récit consacré à la maladie et à la disparition de sa mère. L'oeuvre mémoriale de Simone de Beauvoir ne cessa d'enlacer l'Histoire. «Répertoire des rêves d'une génération», embrassant la presque totalité du XX? siècle, elle fut souvent lue comme un document, un précieux témoignage sur une époque. «Ses souvenirs sont les nôtres, disait François Nourissier ; en parlant d'elle, Simone de Beauvoir nous parle de nous.» Le temps est sans doute venu de la lire autrement, comme une oeuvre littéraire. On a parfois reproché à Beauvoir sa sèche précision, la monotonie de son style ou bien encore une écriture trop «intellectuelle». C'était ne pas voir que ce style, recherché par elle, relevait de la mise à distance du monde et de la volonté de faire entendre sa propre voix, vivante.
«Ils parlent. Ils tapent sur la table. Ils reniflent. Ils se grattent dans les poils. Ils se grattent la tête. Ils se renversent sur leurs chaises. Ils mettent leurs pouces dans leurs bretelles. Ils font semblant, mais ils ne sont pas bien. Ils griffent de l'ongle le bois de la table. Ils parlent. Ils se comprennent. Et pourtant, c'est quoi 14, c'est quoi l'Armistice, c'est quoi Daladier, c'est quoi les Boches, c'est quoi Hitler, c'est quoi la politique, c'est quoi le Taureau du Vaucluse, c'est quoi Chamberlain, c'est quoi le pape, c'est quoi la guerre?- C'est quoi, la guerre?- Occupe-toi de ta soupe. Mange.»Pendant l'Occupation, Louis Calaferte a onze ans. Il raconte la guerre telle que la vit un enfant, au jour le jour. Lorsque l'on sort à peine de l'enfance, comment comprendre ce que sont l'exode, la Gestapo, les trahisons, la déportation, les arrestations, le marché noir? Peut-être faut-il simplement écrire les choses comme elles viennent sans laisser passer aucun détail.Sans temps mort, dans une langue incisive, Calaferte a écrit un récit de guerre dont on ne ressort pas indemne.
Dans ce récit autobiographique bref et lumineux, Patti Smith, qui a été distinguée par le National Book Award, revient sur les moments les plus précieux de son enfance, les convoquant avec un réalisme saisissant qui confine au fantastique. L'auteur mêle l'évocation de la petite fille qu'elle était à des souvenirs à la fois authentiques et imaginaires de sa jeunesse new yorkaise, passée parmi les cafés de la rue MacDougal. Glaneurs de rêves, dont l'écriture a été achevée le jour du 45e anniversaire de Patti Smith, dans le Michigan, a été initialement publié aux États-Unis sous la forme d'un mince volume. Vingt ans plus tard, le texte est réédité et paraît enfin en France dans une version augmentée, complétée de fragments inédits et accompagnée de nouvelles photographies et illustrations.
"Je pense ne plus avoir assez de vie devant moi pour écrire une autre autobiographie." Ces paroles, dans cet entretien accordé par Romain Gary à Radio-Canada, serrent le coeur. Peu de mois après l'enregistrement, il mettait fin à ses jours, le 2 décembre 1980.
Si l'on retrouve, dans la présente transcription de cet entretien, bien des confidences, des anecdotes, des opinions déjà lues dans La Promesse de l'aube et La Nuit sera calme, il faut le considérer comme le dernier état de son autobiographie, ou tout au moins de son autobiographie, ou tout au moins de ce qu'il a bien voulu dévoiler de l'ambition, des espoirs, des succès et des humiliations qui ont fait sa vie.
Roger Grenier
« Papa m'a demandé de l'aider à en finir. » Je me répète cette phrase, elle sonne bizarrement. Qu'est-ce qui ne colle pas ? « Papa » et « en finir » ? Fin 2008, à l'âge de 88 ans, le père d'Emmanuèle Bernheim est hospitalisé après un accident vasculaire cérébral. Quand il se réveille, diminué et dépendant, cet homme curieux de tout, aimant passionnément la vie, demande à sa fille de l'aider à mourir. Comment accepter ? Et puis, « aider à mourir », qu'est-ce que ça veut dire ? Avec Tout s'est bien passé, Emmanuèle Bernheim livre le récit haletant et bouleversant de cette impensable aventure, de cette course d'obstacles dramatique et parfois cocasse. Dix ans après son dernier roman, Emmanuèle Bernheim revient avec ce récit écrit pour la première fois à la première personne du singulier.
En 1921, Françoise Frenkel, jeune juive polonaise passionnée par la langue et la culture françaises, fonde la première librairie française de Berlin « La Maison du Livre ». Rien où poser sa tête raconte son itinéraire : contrainte, en raison de ses origines juives, de fuir l'Allemagne en 1939 après la prise de pouvoir d'Hitler, elle gagne la France où elle espère trouver refuge. C'est en réalité une vie de fugitive qui l'attend, jusqu'à ce qu'elle réussisse à passer clandestinement la frontière suisse en 1943.
Le récit qu'elle en tire aussitôt et qu'elle choisit d'écrire en français dresse un portrait saisissant de la France du début années quarante.
De Paris à Nice, Françoise Frenkel est témoin de la violence des rafles et vit sans cesse menacée.
Tantôt dénoncée, tantôt secourue, incarcérée puis libérée, elle découvre une population divisée par la guerre dont elle narre le quotidien avec objectivité.
Rien où poser sa tête, soixante-dix ans après sa publication en 1945 à Genève, conserve, miraculeusement intactes, la voix, le regard, l'émotion d'une femme, presque une inconnue, qui réussit à échapper à un destin tragique.
« Le 1er novembre 1968, alors que nous nous promenions sur les rochers qui surplombent la Chambre d'Amour à Biarritz, ma soeur aînée a été emportée par une vague. Elle avait vingt ans, moi quinze. Il aura fallu un demi-siècle pour que je parvienne à évoquer ce jour, et interroger le prodigieux silence qui a dès lors enseveli notre famille. Je suis parti à la recherche d'Annie. Je l'ai vue revenir intacte dans sa fougue, ses doutes, ses enthousiasmes, ses joies et ses colères :
Une jeune femme d'aujourd'hui. ».
Jean-Marie Laclavetine.
"Vive sans être bruyante, et naturellement recueillie, je ne demandais qu'à m'occuper, et je saisissais avec promptitude les idées qui m'étaient présentées. Cette disposition fut mise tellement à profit, que je ne me suis jamais souvenue d'avoir appris à lire ; j'ai ouï dire. que c'était chose faite à quatre ans, et que la peine de m'enseigner s'était pour ainsi dire terminée à cette époque".
Le moment m'a semblé venu de faire le point et de retracer mon parcours sans faux-fuyant ni complaisance.
En choisissant, une fois n'est pas coutume, d'écrire à la première personne, il ne s'agit en aucune façon pour moi de rabattre la connaissance sur la confession et de défendre une vérité purement subjective. Je joue cartes sur table, je dis d'où je parle, mais je ne dis pas pour autant : à chacun sa vision des choses. Je ne me défausse pas, par une déclaration d'identité, de l'obligation de dire le présent, d'interroger le passé qui fait de nous ce que nous sommes et de mesurer mes propres dettes envers un legs intemporel qui s'évanouit chaque jour un peu plus sous nos yeux. De la nostalgie quelquefois, mais point de déploration : le vrai que je cherche encore et toujours est le vrai du réel ; l'élucidation de l'être et des événements reste, à mes yeux, prioritaire. En dépit de la fatigue et du découragement qui parfois m'assaille, je poursuis obstinément cette quête.
A. F.
Nick Hunt nous avait emmenés à la rencontre des vents d'Europe dans Où vont les vents sauvages. Nous le retrouvons alors qu'il arpente les quatre coins du continent, à la découverte des lieux les plus inattendus, «qui ne devraient pas se trouver là, si proches de nous». Depuis une zone polaire en Écosse, à travers la jungle de Pologne, un désert espagnol et les grandes steppes de Hongrie, nous suivons cette étonnante promenade, sensible, informée et littéraire, dans des paysages dont on a peine à croire qu'ils existent sous nos latitudes.
L'Oubli que nous serons est à la fois le récit d'un crime, la biographie d'un homme, la chronique d'une famille et l'histoire d'un pays. L'homme est un médecin colombien engagé dans le combat contre la misère et l'ignorance. Le docteur Héctor Abad Gômez enseigne à l'Université de Medellin et travaille dans les quartiers populaires de la ville. Eduqué dans la tradition des Lumières, ce libre penseur croit à la possibilité de changer la vie de ses semblables et de bâtir, grâce à la science, un avenir meilleur. Le portrait de ce père d'exception est dépeint par Abad avec une admiration et un amour tout aussi exceptionnels. Le pays est, bien entendu, la Colombie des années 1980 : une société déchirée par la violence et la guerre sans merci que se livrent les paramilitaires, l'armée, les guérilleros et le narcotrafic. L'Oubli que nous serons donne des éléments pour comprendre la genèse de cette situation, car il nous offre une fresque de l'histoire colombienne récente, ou plutôt, une chronique intime de cette histoire à travers le quotidien de la famille Abad. A travers ce dosage équilibré entre histoire publique et chronique privée, le lecteur a l'impression de découvrir les événements qui ont marqué l'histoire colombienne récente, mais de l'intérieur, tel qu'ils ont été vécus par les Colombiens. Enfin, L'Oubli que nous serons est le récit d'un crime : l'assassinat d'un juste, d'un défenseur des droits de l'homme qui n'a pas cédé à la peur ni à la menace des armes. Les pages dans lesquelles Abad raconte les derniers jours de la vie de son père et la scène de l'assassinat sont plus qu'émouvantes : elles sont d'un courage et d'une beauté extraordinaires. En effet, tout au long de ce livre, Abad peut être drôle, amusant, ou émouvant, mais ce qu'il nous raconte porte en lui une exigence de vérité qui soutient le récit, car il s'agit de narrer, de décrire, sans rien cacher de sa douleur, l'assassinat de son père, « L'oubli que nous serons » est d'ailleurs un vers d'un poème de Borges retrouvé sur le corps. Salué par Manuel Rivas, Javier Cercas et Mario Vargas Llosa, le livre s'est placé pendant plus de six mois parmi les préférés du public en Espagne et en Amérique latine, et en juin 2008, le Syndicat de l'Edition et les libraires lui ont attribué le Prix de la Foire du livre de Madrid.
Depuis mai 2017, Bruno Le Maire est ministre de l'Économie et des Finances auprès d'Emmanuel Macron. Acteur des trois premières années du quinquennat, il offre un éclairage unique sur les décisions économiques, industrielles, financières et fiscales qui ont été prises durant cette période. Il en explique les intentions et la cohérence en les confrontant à notre histoire nationale. Il nous donne un accès privilégié à la pratique du pouvoir comme aux événements et crises qui ont marqué ces années. Il fournit aussi des clés de compréhension de la vie politique des grandes nations occidentales, bousculées par la crise de la Covid-19 et par l'émergence de la Chine.
Dans ce nouveau livre, Bruno Le Maire réaffirme le lien essentiel entre littérature et pouvoir. Il définit les enjeux qui façonneront la France et l'Europe de demain.
«Une journée où je n'écris pas a un goût de cendres», disait-elle. Simone de Beauvoir (1908-1986) fut philosophe, romancière, théoricienne du féminisme, militante anticolonialiste, elle fut la moitié du «couple existentialiste» (et mythique) qu'elle forma avec Sartre, et elle fut aussi, bien sûr, une des grandes mémorialistes de notre temps. Lécriture de soi a toujours été présente dans sa vie. Dès ses dix-huit ans, elle tint un journal intime. Elle continua sa vie durant, par intermittence. C'est la volonté de raconter son amie d'enfance, Zaza, et la douleur liée à sa disparition qui font se concrétiser son désir autobiographique. Commencées en 1956, les Mémoires d'une jeune fille rangée paraissent en 1958. Ce livre allait devenir le premier volume d'une vaste et ambitieuse entreprise mémoriale. Pourtant, à l'origine, il devait se suffire à lui-même : Simone de Beauvoir y avait assouvi son ambition de «totalité». Mais il amorça un processus d'écriture qui allait se déployer sur un quart de siècle. «On ne peut jamais se connaître mais seulement se raconter.» Des Mémoires à La Cérémonie des adieux (1981), six ouvrages couvrent pratiquement toute l'existence de Beauvoir, de sa naissance à la mort de Sartre en avril 1980. S'y succèdent toutes les modalités du récit de soi. L'autobiographie dans Mémoires d'une jeune fille rangée, où elle retrace la conquête de son autonomie et fait revivre son désir d'adolescente : «devenir un écrivain célèbre». Les mémoires, récit d'une vie dans sa condition historique, avec La Force de l'âge (1960), qui suit le parcours du «Castor» de 1929 à 1944 - dix années de liberté et de bonheur brisées par la guerre, et par la prise de conscience d'une sorte d'aveuglement -, puis La Force des choses (1963), où le passé remémoré finit par rejoindre le moment de la rédaction et où l'écriture de soi rallie l'écriture du monde. L'autoportrait, dans Tout compte fait (1972), où la stricte chronologie le cède au thématique. Le témoignage enfin, dans La Cérémonie des adieux, où Beauvoir évoque les dix dernières années de la vie de Sartre. Au centre, Une mort très douce (1964), court et admirable récit consacré à la maladie et à la disparition de sa mère. L'oeuvre mémoriale de Simone de Beauvoir ne cessa d'enlacer l'Histoire. «Répertoire des rêves d'une génération», embrassant la presque totalité du XX? siècle, elle fut souvent lue comme un document, un précieux témoignage sur une époque. «Ses souvenirs sont les nôtres, disait François Nourissier ; en parlant d'elle, Simone de Beauvoir nous parle de nous.» Le temps est sans doute venu de la lire autrement, comme une oeuvre littéraire. On a parfois reproché à Beauvoir sa sèche précision, la monotonie de son style ou bien encore une écriture trop «intellectuelle». C'était ne pas voir que ce style, recherché par elle, relevait de la mise à distance du monde et de la volonté de faire entendre sa propre voix, vivante.
La Pléiade donne, pour le cinquantenaire de la mort de Jules Renard (1864-1910), une édition nouvelle du célèbre Journal. Cette édition nouvelle se distingue des précédentes sur deux plans. Elle a bénéficié d'abord d'un minutieux travail de révision et de correction qui a éliminé les erreurs de copie, les confusions de dates, de prénoms, de noms propres, etc. D'autre part, de nombreuses notes groupées systématiquement dans l'index des noms, dans celui des Oeuvres et dans celui des théâtres, sociétés, associations, etc., donnent au Journal sa toile de fond historique et littéraire. Une chronologie détaillée, une note sur l'établissement du texte, une préface qui replace le Journal de Jules Renard à son rang, le premier parmi les oeuvres du XIX? siècle, tous ces éléments doivent éclairer et satisfaire les anciens et les nouveaux lecteurs de ce grand texte. Grand texte de la littérature du moi, mais aussi, on le sait, extraordinaire album de portraits, écrits, de dialogues pris sur le vif, de maximes - de vérités, enfin, sur l'époque 1887-1910.