Filtrer
Éditeurs
Prix
ANAMOSA
-
"On ne peut plus rien dire..." : Liberté d'expression ; Le grand détournement
Thomas Hochmann
- Anamosa
- 13 Mars 2025
- 9782381911175
" On ne peut plus rien dire... " La complainte de celles et ceux qui dénoncent la " censure " s'étire à longueur de journée sur les plateaux télévisés. Il semblerait que la réaction se soit approprié la liberté d'expression pour mieux la dévoyer. Comment en est-on arrivé là ? Comment récupérer cette liberté fondamentale en démocratie ? Voilà l'enjeu de ce texte incisif.
" On ne peut plus rien dire... " La complainte de celles et ceux qui dénoncent la " censure ", à l'instar d'un Donald Trump, s'étire à longueur de plateaux télévisés. Toute contradiction est dénoncée comme une agression, la lutte contre le racisme est présentée comme une marque d'intolérance " woke ". Par un incroyable retournement, tout effort de protéger le débat démocratique est aujourd'hui brocardé comme une atteinte à " liberté d'expression ". Pourtant, la haine et le mensonge nuisent gravement à la délibération démocratique : les restrictions de l'expression publique, loin d'être en contradiction avec la liberté d'expression, lui sont consubstantielles.
Le juriste Thomas Hochmann révèle la manière dont la réaction a accaparé la liberté d'expression pour mieux imposer ses manières de dire. Mais il montre également comment se réapproprier cette liberté fondamentale, après avoir rappelé et défendu, exemples à l'appui, les lois qui interdisent les discours de haine et les campagnes de désinformation. Leur mise en oeuvre constitue désormais une de nos dernières chances de repousser l'extrême droite. -
Comprendre ce qui nous arrive, ce qui nous est arrivé... Tel est l'enjeu de ce livre. Avec les outils des sciences sociales et de celles de la psyché, le sociologue Marc Joly, spécialiste de la sociologie du pouvoir et de la violence morale, décrypte avec efficacité la crise démocratique que nous vivons à partir d'un cas, celui du président Macron.
À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin 2024, nombre de commentaires ont fleuri sur la " folie " d'Emmanuel Macron, " artisan du chaos ". Le ressentir et le dire est une chose ; analyser en quoi consiste précisément cette pathologie au pouvoir en est une autre. C'est tout l'enjeu du patient travail de Marc Joly. Tenant d'une véritable articulation de la sociologie avec la psychanalyse, prolongeant une vaste enquête consacrée à la catégorie de " perversion narcissique ", il dévoile ce qui est effectivement en jeu : une folie narcissique que colmate une perversité accomplie et qui, en conséquence, rejaillit sur tout un peuple.
Pour mettre des mots (et du savoir) sur le décervelage que provoque la personnalité d'un président usant sans la moindre considération éthique de toutes les prérogatives que lui offre la Constitution de 1958, l'auteur perce à jour les différentes dynamiques et relations sociales à l'oeuvre : crise de la violence symbolique ; " folie à deux " ; masculinité toxique et capitalisme prédateur ; fantasme monarchique de la Ve République. -
"on ne peut pas accueillir toute la misère du monde" : en finir avec une sentence de mort
Pierre Tévanian, Jean-Charles Stevens
- Anamosa
- 1 Septembre 2022
- 9782381910567
Proférés pour clore toute discussion, ces dix mots, On ne peut pas accueillir toute la misère du monde semblent constituer l'horizon indépassable de tout débat sur les migrations, tombant comme un couperet pour justifier le refus ou la restriction. Dans cet essai incisif, il s'agit de décrypter et déconstruire tous les poncifs qui s'y logent et de revaloriser l'hospitalité.
On ne peut pas accueillir toute la misère du monde : qui n'a jamais entendu cette phrase au statut presque proverbial, énoncée toujours pour justifier le repli, la restriction, la fin de non-recevoir et la répression ? Dix mots qui tombent comme un couperet, et qui sont devenus l'horizon indépassable de tout débat raisonnable sur les migrations.
Comment y répondre ? C'est toute la question de cet essai incisif, qui propose une lecture critique, mot à mot, de cette sentence, afin de pointer et réfuter les sophismes et les contre-vérités qui la sous-tendent.
Arguments, chiffres et références à l'appui, il s'agit en somme de déconstruire et de défaire une xénophobie autorisée , mais aussi de réaffirmer la nécessité de l'hospitalité. -
Émeutes contre la vie chère, émeutes raciales et anti-policières, émeutes anti-immigrés, émeutes publiques quasi-insurrectionnelles... Toujours imprévisibles, extra-légales et illégitimes, les émeutes sont devenues, en ce début de XXIe siècle aussi diverses qu'innombrables, et l'auteur en fait le tour et retrace l'histoire du mot.
À l'ère de la globalisation des révoltes, l'émeute paraît en être la forme par excellence, de Pointe-à-Pitre (2009), Alger (2011) et São Paulo (2013), à Clichy-sous-Bois (2005) à Athènes (2008), Tottenham et Liverpool (2011), Hambourg (2011), Ferguson (2014) et Minneapolis (2020), en passant par le
" Printemps arabe " (2011-2013), l'insurrection à Hong Kong (2017-2019) et le mouvement des Gilets jaunes (2018-2019) ; et même en Chine, sous la qualification de " urban disorders ", dans le Xinjiang (2009), Wukan (2011 et 2016), ou encore Yugao (2013). Souvent spectaculaires et hypermédiatisées, ces violences collectives dites " urbaines " se muent en spectacle dans la société du même nom, vidées de leurs significations politiques.
Alors bien sûr, il y a émeutes et émeutes - frumentaires, ouvrières, xénophobes et racistes, raciales, carcérales, interethniques, urbaines, publiques, etc. Et l'inflation récente de cette notion a tendance à l'associer à toute révolte faisant usage de la violence, comme en Nouvelle-Calédonie ou au Royaume-Uni en 2024. Or l'émeute, si on reprend sa définition comme " soulèvement populaire spontané ", désigne une forme de protestation collective bien définie. Il en existe plusieurs généalogies dont Michel Kokoreff ressse les grandes lignes. L'émeute a donc une histoire avec ses logiques, ses règles, ses acteurs, ses imaginaires, ses spectres aussi. Elle n'est pas qu'un " reflet " de transformations sociales et économiques plus générales. Quelles sont, en évitant les anachronismes et les risques de redondance, les similitudes et les différences, les interruptions et continuités, les impasses et avancées ? Voilà une des questions qui traverse ce livre.
Car l'essentiel est la mise en perspective des émeutes contemporaines, et plus encore, de ce qu'il faut bien appeler les émeutes de la mort, en France. C'est à peine s'il en reste des traces, vite effacées, oubliées. Nous sommes déjà passés à autre chose - comme après les attentats terroristes, l'épisode du Covid-19, la victoire politique du Rassemblement national (RN) -, aspirés par l'accélération vertigineuse du temps. Jusqu'au prochain drame et à la répétition des mêmes discours et des mêmes arguments - lassants. Conjurer l'oubli, le défaire, est impératif pour saisir les différentes causes des émeutes et entendre la parole des acteurs de l'ombre faisant irruption sur le devant de la scène - sans rien régler, l'émeute étant, précisément, ce reste : de l'inconciliable. -
Féminisme : mot explosif, chargé de batailles, d'identifications et de contradictions. Mot d'importance donc pour la collection Le mot est faible, dont la professeure en études de genre Éléonore Lépinard s'empare ici avec brio pour le recharger d'une exigence toujours renouvelée de penser ses propres contradictions et de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation.
Si le mot " féminisme " est explosif, c'est qu'il serait pour certain·es porteur d'excès, d'une demande d'égalité risquant de renverser l'ordre établi, d'un désir d'imposer de nouvelles identités ou de prescrire un nouveau langage. Le féminisme brûle en effet : des " pétroleuses " incendiaires de la Commune de Paris, aux soutiens-gorges que les féministes du Mouvement de libération des femmes auraient brûlés, ces mythes tenaces associent dans notre imaginaire collectif les féministes avec un feu ravageur. L'incandescence de ce mot est aujourd'hui ravivée, à coups de hashtags, de témoignages et de colères rendues publiques, de manifestations et de chorégraphies à dimension planétaire.
Il y a aussi danger quand certain·es voudraient non pas s'opposer au féminisme et à ses demandes, mais au contraire se l'approprier, en donner une définition commune et légitime pour toutes celles et ceux qui voudraient se revendiquer de ce projet politique. Les luttes pour imposer ce que devrait être le " vrai " féminisme, sont aussi chargées d'affects, d'histoires et de conflits. Les rassemblements de toutes, #NousToutes, contrastent avec les conflits et colères, les #NousAussi clamés par les exclu·e·x·s d'un discours qui se veut universaliste mais qui ne manquerait pas de toujours ériger des frontières, des clôtures autour d'un " bon " féminisme, accessible à certaines et pas à d'autres.
Il faut dire qu'avec les féminismes revendiqués de Beyoncé, de Sheryl Sandberg, de Chimamenda Ngozi Adichie, d'Élisabeth Badinter, d'Annie Ernaux, d'Amandine Gay, d'Adèle Haenel... ou d'Emmanuel Macron, on dispose d'autant de versions, contradictoires, opposées, oxymoriques ou alliées à explorer. La tendance à qualifier le féminisme indique que ces versions semblent pouvoir se multiplier à l'infini : business feminism, féminisme radical, féminisme néolibéral, féminisme matérialiste, afro-féminisme, transféminisme, féminisme queer, écoféminisme... Devant cette avalanche de tendances on peut se demander si le mot a vraiment encore un sens, s'il peut désigner un projet commun dont les contours seraient identifiables. Comment un mouvement qui semble s'énoncer au nom d'un sujet qui a l'apparence de l'évidence, les femmes, peut-il s'avérer si protéiforme ? Comment peut-il être étiré jusqu'aux limites de ses possibilités et de son histoire puisqu'il devient revendiqué par des fractions de ceux-là même qui l'ont tant combattu, les idéologies de droite voire d'extrême droite ? Y a-t-il encore un dénominateur commun ? Le féminisme est-il voué à l'éclatement et la récupération ou peut-il continuer de nourrir nos imaginaires, nos désirs, nos luttes et nos vies ?
L'autrice défend ici brillamment que ces luttes et ces conflits sont essentiels au féminisme, au sens où ils en constituent l'essence même et sont aussi essentiels à sa dynamique propre. Pour autant, accepter l'importance de ces conflits n'est pas céder au relativisme : toutes les versions du féminisme ne sont pas bonnes à adopter ou équivalentes. Loin de là. Le féminisme porte une exigence toujours renouvelée de penser ses contradictions, de répondre à celles qui en contestent les frontières, de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation. -
Les seins des femmes sont-ils le siège visible, désigné, ressenti du féminin ? Ils sont en tous cas au coeur de tensions à la fois intimes et sociales, voire politiques, enjeu de l'assignation des femmes à des normes immémoriales et lieu d'une émancipation revendiquée. Cet essai en dévoile les mille et un signaux à travers une enquête où les femmes livrent leur expérience vécue.
Ronds, fermes et hauts, ni trop petits ni trop gros, à la fois sexy et nourriciers, les seins des femmes sont l'objet d'assignations, d'injonctions et de fantasmes innombrables. Or l'expérience de chacune et de chacun est bien loin de se conformer à ces idéaux. Ces standards sont donc fréquemment vécus comme un poison et les seins réels invisibilisé.
Camille Froidevaux-Metterie a mené une enquête auprès de femmes de tous âges, qui déroulent le fil de leur existence au prisme de leurs seins : de leur apparition au port du soutien-gorge, de la séduction au plaisir sexuel, du poids des normes esthétiques à la transformation volontaire ou contrainte par la chirurgie, de l'allaitement à la maladie... Grands oubliés des luttes féministes, appartenant à la fois à la sphère intime et à la sphère sociale, les seins condensent le tout de l'expérience vécue du féminin contemporain, soit ce mixte paradoxal d'aliénation et de libération. Ce constat s'inscrit dans une dynamique puissante que l'autrice appelle « tournant génital du féminisme », mouvement de réappropriation du corps des femmes dans ses dimensions les plus intimes : mieux connaître les organes génitaux et leur fonctionnement, lutter contre les violences sexistes et sexuelles, revendiquer l'accès à une sexualité libre et égalitaire placée sous le signe du consentement. Dans la pluralité de leurs formes et la liberté de leur condition, les seins participent de ce mouvement.
Au cours de son enquête, l'autrice a réalisé des portraits des seins des femmes qui évoquent avec force en regard des verbatims et de l'analyse de cette « expérience vécue des seins ».
-
Une réflexion sur l'évolution de la classe paysanne depuis la fin du XVIIIe siècle, sur les enjeux politiques qui entourent la paysannerie et sur les représentations sociales qu'elle suscite, aussi bien dans la culture populaire que parmi l'élite. L'auteur montre que, malgré la baisse importante de la population agricole en France, l'ethos et la figure du paysan jouent toujours un rôle important.
-
La tradition : bonne à n'être que le nom d'une baguette ou la revendication du conservatisme ? Voilà un mot apparemment usé et amoindri, dont les auteurs font le tour et qu'ils interrogent en regard de la " modernité ", rappelant aussi qu'elle fut au coeur de l'entreprise des sciences sociales.
C'est un mot usé, fatigué, élimé parce qu'il a été beaucoup utilisé. À moins que l'amoindrissement de sa charge sémantique ne relève plutôt d'une discordance avec l'époque. La tradition ne serait plus à la mode. Paradoxalement. Repris à l'envi dans la communication patrimoniale qui vante l'authenticité, le chez-soi et l'immémorialité, ce mot subit, au même moment, un racornissement de son domaine d'assignation. Bonne à n'être qu'un slogan pour des publicités peu inspirées, coincée dans l'étau de l'injonction mémorielle et du colifichet touristique, la tradition se fait rigoriste à l'autre bout du portefeuille langagier. Les " tradis ", ce sont, pour beaucoup d'entre nous, ces autres, dont nous peinons quelquefois à comprendre, sur fond de " Manif pour tous " et de soutanes tout droit sorties de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un argumentaire et des attitudes qui relèvent de son orthopraxie. Une tradition en majesté en quelque sorte, éloignée de ce qu'elle est de fait : bien moins la lecture littérale d'un dogme qu'une somme d'interprétations d'un noyau dur qui sert in fine d'entregent à des signifiants flottants.
Disqualifiée la tradition par le trop-plein et le trop peu ? L'on pourrait dire la même chose de la modernité. Que sa progressive mise à l'index, surtout à compter des années 1970, renvoie à toutes sortes de relectures ouvrant sur le souhait de clore ce qui serait une parenthèse désenchantée de l'anthropocène en est une autre. Tandis que des mots retrouvent de leur lustre pour dire et faire dire l'époque - le fond de l'air serait à la radicalité et à la réaction -, d'autres dépérissent tranquillement dans la sphère communicationnelle. Pour des raisons différentes, la pléthore de l'insignifiance pour la première et une aversion galopante pour la seconde, tradition et modernité, en un couple qui régna en maître sur nombre de travaux menés dans les sciences sociales des Trente Glorieuses aux fins de circonvenir la question latérale du changement ou, plus exactement, de l'évolution, ne font donc plus recette.
Toutefois, ne faire de la tradition (un ensemble d'énoncés, d'actes, de représentations et de croyances qui se transmettent de génération en génération) qu'une arme au service d'une idéologie de la différenciation négative ne saurait restituer toutefois ce qu'elle fut aussi : un moyen de cerner des sociétés en s'interrogeant précisément sur l'effectivité et la pertinence de ce que l'on plaçait derrière le mot tradition, soit un opérateur pour les sciences sociales qui mérite d'être pris en compte. -
Le mot " progrès " ne laisse personne indifférent. Certain·es l'adulent parce qu'il dessinerait un avenir meilleur à l'humanité. D'autres, au contraire, dénoncent un idéal qui rendrait aveugle à ses effets collatéraux : sociaux comme environnementaux. Terrain de lutte, le mot offre une clé de lecture des trois derniers siècles et des conflits sociaux et de valeurs.
" Progrès " fait partie de ces mots qui, de nos jours, suscitent l'enthousiasme mais aussi la méfiance, et ce à droite comme à gauche du spectre politique. Comment en est-on arrivé là ? Quelles valeurs lui sont attachées ? Ce fait est-il nouveau ? Ceux et celles qui voient dans la technologie l'avenir de l'humanité font du " progrès " un étendard. Mais beaucoup en sont convaincus : à un temps où le progrès faisait l'unanimité aurait succédé une époque où il faudrait se méfier de la foi dans le progrès. À gauche, nombreux sont ceux qui considèrent encore le progrès social comme un idéal. Mais comment l'atteindre sans prendre en compte des objectifs économiques (la croissance et la plus-value) dont les conséquences sociales, géopolitiques et écologiques sont désastreuses ? Ceux qui, à droite, le pourfendent y voient un primat du matérialisme, de l'individualisme et du consumérisme auxquels il faudrait opposer l'importance des traditions.
Pour y voir plus clair et ne pas être victime des usages polémiques du terme, il est crucial de saisir combien depuis le XVIIIe siècle, " progrès " n'a cessé d'être un mot débattu. Pour comprendre ces controverses, il faut retraverser ses usages et ses adjectivations : progrès scientifique, technologique, économique, industriel, social voire écologique. Il faut également s'arrêter sur son substantif associé " progressisme ". Terrain de lutte, le mot " progrès " offre une clé de lecture des trois derniers siècles et des conflits sociaux et de principes. -
La Bibliothèque et le survivant : Un intellectuel arménien au siècle des génocides
Boris Adjemian
- Anamosa
- 13 Mars 2025
- 9782381911137
Exilé à Paris depuis 1919, Aram Andonian est le concepteur et la cheville ouvrière de la Bibliothèque Nubar, bibliothèque arménienne de Paris. Témoin et rescapé, il a aussi documenté les massacres de 1915. Une contribution importante à l'histoire des Arméniens au xxe siècle, croisant l'histoire matérielle des savoirs, des pratiques patrimoniales et celledes génocides.
Réfugié à Paris depuis 1919, Aram Andonian est à la fois le concepteur et la cheville ouvrière de la Bibliothèque Nubar, bibliothèque arménienne de Paris. Rescapé des massacres de 1915, il est aussi un de ceux qui documentent ce génocide, recueillant des centaines de témoignages auprès de survivants, sur place au moment de sa déportation ou plus tard en exil.
Dans le moment critique de la destruction et de la dispersion d'un peuple, la Bibliothèque apparaît comme une réponse à l'anéantissement. Aram Andonian en conçoit les plans, l'ameublement et l'organisation, avant d'y élire domicile. Il sollicite sans relâche les dons venant d'Alexandrie, Constantinople, Alep, Venise ou Boston. En 1941, cette collection remarquable est la cible des pillages nazis, dont Andonian se fait le chroniqueur en même temps qu'il soustrait les volumes les plus précieux à l'avidité de l'occupant. Après la guerre, dans la Bibliothèque où il vit reclus, il poursuit jusqu'à ses dernières forces son oeuvre d'archiviste et d'écrivain, alors que la destruction des Juifs d'Europe, le procès de Nuremberg et la notion de génocide forgée par Raphael Lemkin éclairent d'un jour nouveau les crimes de masse subis par les Arméniens trente ans plus tôt.
Sous la forme d'un récit éminemment incarné, Boris Adjemian livre ici la double biographie d'un homme et d'un lieu. Il apporte une contribution majeure à l'histoire des Arméniens au XXe siècle, croisant l'histoire matérielle des savoirs, des pratiques patrimoniales et celle des génocides. -
Égrenant les caricatures et fantasmes, non dénués parfois de réalité, que génère le mot " patron ", Michel Offerlé, spécialiste du monde politique et du patronat, prend le risque de l'histoire et de la sociologie pour tenter de comprendre qui sont les patron·ne·s, ce qu'ils et elles font et ce qu'ils et elles nous font.
Après une plongée dans la culture populaire présentant les images, le vocabulaire (patron-voyou, salaud de patron, cochon de patron, parasite, exploiteur...) voire le bestiaire carnassier qui entourent le mot chargé qu'est " patron ", et, fréquemment, en France à tout le moins, péjoratif ou insultant, Michel Offerlé entreprend dans ce petit ouvrage vivant une courte histoire et une sociologie des patrons, et des patronnes, dans leur très grande diversité. D'où la difficulté de cerner avec précision un mot, contesté et chahuté, y compris dans leurs propres rangs.
C'est, au xixe siècle, que le patron comme chef d'une unité économique apparaît politiquement et juridiquement après 1830. Dès lors, cette labellisation renvoie aussi à patronage puis à paternalisme, mélange de sentiment de devoir protecteur et de nécessaire surveillance. À partir de la seconde moitié du xxe siècle, le mot s'étire et on quitte, parfois, la famille, et le patron nominal des grands groupes mondialisés est le plus souvent un " dirigeant ", manager ou CEO désigné et contrôlé par des actionnaires qui en sont les véritables propriétaires. Au xxie siècle, vient le temps des entrepreneurs évinçant la symbolique trouble du mot patron des start-up, des autoentrepreneurs ou les entrepreneurs par nécessité - ces derniers étant bien plus nombreux qu'il n'y paraît. Tous sont enrôlés dans la cause de l'entrepreneuriat, étendard de la modernité de l'accomplissement du travail.
Entre le patron-ne exploiteur et le patron-ne héros, l'auteur instille une sociologie du travail patronal (oui ils-elles travaillent bel et bien), de leurs entourages, de leurs engagements collectifs, de leurs goûts et de leurs valeurs (fierté, autonomie, laissez-nous faire, engagement de soi, féminisme de marché, écologie balbutiante) et de leurs répulsions (les petits contre les grands, une suspicion anti-étatique commune) pour comprendre la diversité du " faire patron " dans une économie capitaliste. -
Dans la France du XXIe siècle, on attend beaucoup de la laïcité, devenue injonction, au risque de devenir discriminatoire dans le discours juridique et politique. Laïcité, donc, un mot fort aux enjeux de taille pour notre société, décrypté de manière limpide par la professeure de droit Stéphanie Hennette-Vauchez.
Parangon des valeurs républicaines qui connaissent un regain d'exaltation dans le discours juridique et politique, la laïcité se fait métonymie de la République. On lui demande alors de trancher une multitude de questions. A-t-on le droit de porter des tenues religieuses - à l'école, au travail ou à la piscine ? Comment lutter contre le communautarisme ou le séparatisme ? Ne faudrait-il pas accroître les limites à la liberté d'expression ?
Face à cette hypertrophie du champ et de la portée souvent conférée dans le débat public à la laïcité , l'autrice propose ici une analyse juridique du principe. Le propos poursuit deux objectifs principaux. Le premier est de rappeler que la laïcité est d'abord un principe visant à organiser les rapports entre l'État et les cultes - et non un principe censé réguler les conduites individuelles ou collectives. Est restituée l'histoire moderne du principe (XIXe-XXe siècles) et les trois principes dans lesquels se décline alors la laïcité sont présentés : séparation (des Églises et de l'État), garantie (de la liberté de culte) et neutralité (des autorités publiques). Dans un second temps, l'ouvrage documente et analyse les multiples bouleversements de ce régime républicain et libéral de la laïcité. Il s'agit en particulier de revenir sur les multiples réformes qui, depuis le début du XXIe siècle, tendent à en faire un principe qui met l'accent sur les restrictions davantage que sur la garantie de la liberté religieuse, via, notamment, des obligations multipliées de discrétion sinon de neutralité religieuse qui pèsent désormais sur les personnes privées.
L'analyse de ces mutations est critique, tant du point de vue de la non-neutralité de cette nouvelle laïcité qui s'érige en authentique injonction que du point de vue de son potentiel discriminatoire (vis-à-vis, en particulier, de l'islam). -
Classe : historiquement, le mot est fort, associé à une remise en cause radicale de l'ordre social ; aujourd'hui, il est affaibli et ne cristallise plus les oppositions politiques, alors que les inégalités de conditions de vie et de travail sont toujours présentes. Il s'agit ici de redonner son tranchant à la classe sociale comme concept et instrument politique d'émancipation.
Pour point de départ, il y a un paradoxe : le mot classe se trouve affaibli aujourd'hui, alors même que la domination capitaliste se radicalise depuis quarante ans. Le sens associé au concept s'est en effet transformé ; le pluriel (classes populaires, classes supérieures ou classes dominantes) a remplacé le singulier de la classe ouvrière et de la bourgeoisie pour désigner les classes et, chez les chercheurs en sciences sociales, l'accent est mis sur la pluralité des conditions socio-économiques et des rapports à la culture et à la politique davantage que sur les formes d'unité. Dit autrement, la classe ouvrière ne constitue plus le sujet historique des transformations sociales dans le discours et l'organisation des forces de gauche.
Pour comprendre le paradoxe, il est nécessaire de faire évoluer la définition du mot en lien avec les transformations du capitalisme. L'affaiblissement de la classe est alors à mettre en relation avec la fin d'une configuration historique spécifique : les nouvelles formes de capitalisme qui se sont développées depuis les années 1970 nécessitent de repenser le concept de classe en tant qu'elles fabriquent un type de rapport d'exploitation mais aussi de marchandisation de la monnaie, du travail et de la nature. Ces transformations ne sont pas uniquement économiques, elles se jouent aussi dans les formes de sociabilités, de solidarités et de culture dans lesquelles se forment et se reforment les classes sociales. Ces recompositions sociologiques impliquent dès lors de rompre avec la vision d'une classe ouvrière synonyme de prolétariat industriel pour en redéfinir les contours.
Redonner sa force au mot classe implique également de ne pas en faire un isolat et une chose statique, qui nierait d'autres formes de dominations telles que le genre et la race. Autrement dit, les inégalités de genre, de race ou d'origine migratoire ont une base matérielle dans le capitalisme contemporain qu'il s'agit de prendre au sérieux. La configuration contemporaine invite ainsi à réinventer le processus d'affirmation du mot de classe, en y articulant positivement dans une perspective d'émancipation l'imbrication des rapports de domination. De ce point de vue, les expériences des luttes sociales récentes (par exemple la mobilisation des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles) fournissent des points d'appui pour imaginer un réarmement du mot classe sans affaiblir les autres. -
Dans la veine propre à la collection Le mot est faible, ce nouveau titre revient, sous l'angle du droit, sur l'histoire de la nationalité française inventée à la fin du xixe siècle et utilisée depuis pour fabriquer des étrangers et les soumettre à des régimes plus ou moins sévères et cruels suivant les besoins du marché du travail.
De définition univoque de l'étranger. Il se définissait par défaut comme celui qui n'appartient pas à la communauté et il existait donc autant de figures de l'étranger que de manières inventées par les humains de former communauté. Ce flou entourant la notion d'étranger a aujourd'hui disparu. L'État-nation s'est approprié le concept pour en dessiner les contours au scalpel : l'étranger est celui qui n'a pas la nationalité de l'État sur le territoire duquel il se trouve. Désormais attribuée de manière certaine par l'effet du droit, la nationalité sépare irrémédiablement le national et l'étranger pour soumettre ce dernier à un régime spécial, arbitraire, plus ou moins sévère et cruel suivant les besoins de l'économie et les considérations politiques du moment. Et lorsqu'on se penche sur la condition des personnes étrangères en France, on observe un droit ségrégationniste - ce qui semble largement admis - et un racisme systémique de l'État et ses institutions, qu'elles nient avec un cynisme de moins en moins feutré.
L'un des enjeux de l'ouvrage est de montrer que la catégorie d'étranger - opposée à celle du national - n'a rien de naturel. En revenant sur la fabrique de la nationalité française à la fin du xixe siècle, on comprend qu'elle n'est pas un attribut de la personne humaine et que la qualité d'étranger, définie en creux, l'a été depuis son origine par l'État à des fins utilitaristes. Satisfaire le marché du travail et organiser la ségrégation des candidat·es suivant leur origine, voilà les deux axes inconditionnels de la politique migratoire française. Lorsque le besoin de main-d'oeuvre peu qualifiée baisse dans la dernière partie du xxe siècle, la France puis l'Europe tout entière cherchent à entraver l'arrivée de nouveaux migrants , notamment grâce à des systèmes juridiques et policiers toujours plus sophistiqués. Ces dispositifs de gestion des flux obligent les personnes qui veulent gagner l'Europe à mettre leur vie en jeu et - c'est un phénomène nouveau - elles sont des milliers à mourir chaque année sur les routes de l'exil.
Si tout cela est possible, s'il existe des milliers d'agents étatiques pour mettre quotidiennement en oeuvre ces politiques inégalitaires et féroces, c'est qu'elles sont largement habillées par le droit. Le droit est en effet un outil terriblement efficace : il confère à cet édifice macabre sa légitimité, tandis que l'enchevêtrement des textes et l'abstraction des catégories juridiques tiennent le réel à distance. -
Arpenter le paysage ; poètes, géographes et montagnards
Martin de La Soudière
- Anamosa
- 2 Mai 2019
- 9791095772675
Sur le mode du récit, Martin de La Soudière dialogue avec ses pères et ses carnets de travail. Son corpus hors du commun rassemble des écrivains, géographes, paysagistes, peintres, botanistes, mais aussi grimpeurs, militaires, cartographes, taupiers, bergers et autres promeneurs. Tous écrivent leur paysage. Franz Schrader, Élisée Reclus ou Vidal de La Blache habitent l'imaginaire de l'auteur, au même titre que les manuels d'escalades du XIXe siècle ou les livres de géographie du jeune élève des années 1950/1960. Entrer en Pyrénées s'opère aussi à différentes échelles, la vue statique et graphique avec son cadre et sa lumière est indissociable de l'expérience de l'escalade, de la promenade en famille ou de l'expédition aventurière entre frères et soeurs. Comme Martin de La Soudière le dit, on entre en paysage avec le pied et avec la main (on empoigne la matière de la roche pour grimper aux sommets). Mais l'écriture du paysage, en plein vent et en cabinet, est aussi une affaire de rituels. L'auteur scrute les gestes de ses poètes de prédilection : Jean-Loup Trassard arpentant son bocage, Julien Gracq au volant de sa deux-chevaux sur les rives de la Loire, André Dhôtel se perdant dans la forêt des Ardennes, jusqu'à Fernando Pessoa le promeneur immobile de Lisbonne. À travers ses « devanciers » comme il les appelle, l'auteur revendique une intimité du paysage féconde pour l'imaginaire et le travail intellectuel.
Dans cet ouvrage, Martin de La Soudière « franchit » la montagne en quelque sorte : inaugurant son récit par le souvenir de l'arrivée au seuil des Pyrénées quand il était enfant, le père de famille proclamant au volant de sa 15 chevaux « Et voici nos montagnes », il le termine de l'autre côté du sommet, en Aragon, sur un dialogue avec son frère décédé Vincent, dialogue aux accents d'énigmes sur une vue panoramique. Le récit est accompagné de photos personnelles, d'extraits des carnets de Martin, carnets de son enfance jusqu'à aujourd'hui.
-
Nous sommes venus en France : Voix de jeunes algériens 1945-1963
Mathias Gardet
- Anamosa
- 12 Septembre 2024
- 9782381910970
Sur les lieux de l'ancien centre d'observation pour mineurs de Savigny-sur-Orge, Mathias Gardet a découvert les dossiers de centaines de jeunes Algériens isolés arrivés en France entre 1945 et 1963. Face aux récits des adolescent·es, la parole de l'institution judiciaire, éducative, policière, psychiatrique oppose un écho glaçant et empreint de racisme.
Au cours des dernières décennies de l'Algérie coloniale, de jeunes gens choisissent de venir en Métropole, seul·es, pour rejoindre qui une cousine, qui un père ou un mari, ou simplement trouver un travail et une vie meilleure. Arrêté·es pour vagabondage ou de petits délits, ils et elles sont retenu·es quelques mois dans un centre d'observation en région parisienne, en attendant la décision d'un juge.
C'est donc sous le regard et à la demande de l'institution judiciaire, éducative, policière, psychiatrique qu'ils et elles racontent et dessinent leurs aspirations ordinaires d'adolescent·es : leurs vies là-bas, la traversée en bateau, les hôtels meublés, l'école et les petits boulots, les sorties au bal ou au cinéma, leurs histoires d'amours et expériences sexuelles...
Face à leurs désirs d'émancipation, la parole des professionnels oppose, dans un véritable dialogue de sourds, une sévérité inquisitrice et des jugements biaisés, un écho glaçant et empreint de racisme.
Grâce à cette archive, Mathias Gardet enquête et compose un magnifique récit choral à hauteur d'adolescent·es. Il restitue un pan méconnu de l'histoire de l'immigration et de la justice des mineurs, une réalité incarnée de la situation coloniale. -
Par monts et par vaux : petit abécédaire des paysages
Martin de La Soudière
- Anamosa
- 17 Août 2023
- 9782381910680
D'alpage en verger : l'ethnologue du dehors et arpenteur Martin de la Soudière, remarqué notamment pour son superbe
Arpenter le paysage (2019), livre ici un abécédaire personnel et nourri de littérature des motifs paysagers.
D'alpage en verger, de bocage en sommet, d'étang en marais... Voici quelques-uns des motifs qui marquent en profondeur le territoire de la France tout comme les paysages intimes de l'ethnologue et arpenteur Martin de la Soudière. Dans cet abécédaire délibérément parcellaire, il en a répertorié vingt-deux et les décline de manière généreuse et joyeuse, selon cette approche qui lui est propre, personnelle et polyphonique, autant littéraire que géographique.
Ces motifs paysagers sont aussi des lieux : non pas des hauts lieux, mais des lieux ordinaires, des lieux communs en commun. À la fois singuliers et emblématiques, ils nous interpellent, renvoyant ainsi plus largement à notre culture de l'espace et de la nature. Cet ouvrage est aussi un appel à se rendre sur place, non comme un parcours fléché en suivant un guide, à la recherche du pittoresque, mais comme une promenade buissonnière, à l'écoute de nos sensibilités collectives et individuelles. -
Les répercussions mondiales de la mort de George Floyd le 25 mai 2020 l'ont montré : plus que jamais il est utile de défendre un usage critique du mot race, celui qui permet de désigner et par là de déjouer les actualisations contemporaines de l'assignation raciale.
User de manière critique de la notion de race, c'est décider de regarder au-delà de l'expression manifeste et facilement décelable du racisme assumé. C'est saisir la forme sédimentée, ordinaire et banalisée de l'assignation raciale et la désigner comme telle, quand elle s'exprime dans une blague ou un compliment, dans une manière de se croire attentif ou au contraire de laisser glisser le lapsus, dans le regard que l'on porte ou la compétence particulière que l'on attribue. C'est ainsi expliciter et problématiser la manière dont selon les époques et les contextes, une société construit du racial.
Si le mot a changé d'usage et de camp, il demeure cependant tributaire de son histoire et y recourir de manière critique fait facilement l'objet d'un retournement de discrédit. Celles et ceux qui dénoncent les logiques de racialisation sont traité·es de racistes. Celles et ceux qui mettent en lumière l'expérience minoritaire en la rapportant à celle des discriminations raciales sont accusé·es d'avoir des vues hégémoniques. Dans le même temps, les discours racialisants continuent de prospérer sous le regard indifférent de la majorité.
Si le mot de race sert à révéler, y recourir est donc d'autant plus nécessaire dans le contexte français d'une République qui pense avoir réalisé son exigence d'indifférence à la race et y être parfaitement " aveugle ", " colour-blind ", dirait-on en anglais. -
Non le concept d'intersectionnalité ne représente pas un danger pour la société ou l'université, ni ne fait disparaître la classe au profit de la race ou du genre. Bien au contraire, cet outil d'analyse est porteur d'une exigence, tant conceptuelle que politique. Une synthèse nécessaire, riche et argumentée, pour comprendre de quoi on parle Les attaques contre les sciences sociales se font de plus en plus nombreuses. À travers elles, ce sont certains travaux critiques qui sont particulièrement visés, notamment ceux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l'intersectionnalité.
À partir d'un article de 2019, devenu référence et paru dans la revue Mouvements, entièrement revu et actualisé, voici, pour toutes et tous, une synthèse salutaire et nécessaire sur ce qu'est réellement la notion d'intersectionnalité. Les autrices, sociologues, s'attachent d'abord à rappeler l'histoire du concept élaboré il y a plus de trente ans par des théoriciennes féministes de couleur pour désigner et appréhender les processus d'imbrication et de co-construction de différents rapports de pouvoir - en particulier la classe, la race et le genre. Il s'agit ensuite de s'interroger sur les résistances, les " peurs ", les discours déformants et autres instrumentalisations politiques que l'intersectionnalité suscite particulièrement en France. Mais justement, défendre les approches intersectionnelles, n'est-ce pas prendre en compte, de manière plus juste, les expériences sociales multiples et complexes vécues par les individu·es, et donc se donner les moyens de penser une véritable transformation sociale ?
Pour l'intersectionnalité : " Qui nos institutions académiques accueillent-elles et quels savoirs valorisent-elles et font-elles éclore sont donc deux questions indissociables. Et ce n'est qu'en tentant d'y répondre et en donnant toute sa place à des travaux potentiellement porteurs de transformation sociale pour les groupes marginalisés que l'enseignement supérieur et la recherche pourront continuer de jouer un rôle politique et social en France, car elles produiront une recherche scientifique qui renouvelle notre compréhension du monde social et le donne à voir dans sa complexité. " Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz. -
Revenir - Expériences du retour en Méditerrannée
Giulia Fabbiano
- Anamosa
- 17 Octobre 2024
- 9782381911069
Par le prisme de la question du " retour ",
Revenir propose un regard original sur les migrations en Méditerranée. Les expériences de retour mettent en effet à nu la complexité des formes de déplacements humains, des déracinements aux voyages mémoriels, et permettent d'explorer la relation transgénérationnelle au lieu d'origine, aux mémoires et aux imaginaires qui y sont liés.
Désir, rêve, acte, mythe, horizon possible ou impensable : revenir est une expérience à la fois intime, collective et politique. Elle fabrique des récits de lieux investis ou réinvestis, des lieux vécus, perdus, retrouvés, interdits, occupés, parfois disparus ; des récits de situations migratoires qui se déploient dans l'espace méditerranéen contemporain, connectant ou séparant ses rives.
Réinstallations, vacances au pays, tourisme des racines, mobilisations pour le droit au retour, contournements des frontières ou encore rapatriements post-mortem, les pratiques du revenir témoignent toutes des trajectoires de femmes et d'hommes qui ont dû, volontairement ou sous la contrainte, quitter leur pays et habiter l'exil. Ce livre et l'exposition qu'il accompagne s'emparent de ces fragments de vie. Les textes, oeuvres, objets et documents rassemblés ici nous emmènent en Algérie, Cisjordanie, France, Galilée, Grèce, Italie, Liban, Macédoine du Nord, Syrie. Ils invitent à réfléchir au rapport intime et mémoriel au chez-soi, à parcourir ses territoires, à prendre en compte les multiples formes de sa reconnaissance et les voix de sa transmission, génération après génération. -
Depuis quelques années, les mots « décolonial » et « décolonialisme » ont fait leur apparition dans le débat public français : dans les tribunes, discours, essais ou encore éditoriaux divers. Ils y occupent une place très particulière, celle du mot qui divise en prétendant défendre l'unité, celle du mot qui agit en prétendant se contenter de décrire, celle de la victime contre l'ennemi qui menace.
Comme nombre de titres de la collection Le mot est faible, l'objectif de l'ouvrage est de réussir à tenir ensemble et à montrer dans leur complexité, dans un essai très argumenté, les transformations de la visibilité de certaines approches épistémiques contre-hégémoniques à l'échelle mondiale (le mouvement décolonial n'étant pas le seul existant, mais sans doute l'un des plus repris actuellement dans d'autres régions du monde, notamment en raison de son affinité sémantique avec l'idée de décolonisation) et les logiques de résistance - politiques et intellectuelles - qui s'exercent en France à l'égard de ces transformation en raison de l'homologie discursive entre la défense de l'universalisme républicain et la défense de l'universalisme scientifique dans une version calquée sur le « point de vue de nulle part ».
L'ouvrage ne vise pas à s'engager pour ou contre telle ou telle approche. Il essaiera non pas de rester neutre, mais de plaider pour un engagement académique (peut-être plus assumé que l'engagement intellectuel qui se pratique au nom d'idées universelles sans dire son nom propre), tout à la fois réflexif et situé, attentif à saisir à quel point et de quelle manière l'ethnocentrisme - pas seulement eurocentré - invite au binarisme pour mieux essayer de réfléchir aux conditions de possibilité de l'instauration d'un dialogue scientifique plus large, ouvert au(x) monde(s) et à une forme d'universalité différente (qu'on l'appelle « pluriverselle » ou tout simplement « plurielle ») -
L'actualité nous le rappelle : l'une des spécificités des conflits des XXe-XXIe siècles est de faire des civils des cibles à part entière. L'enjeu de ce livre est d'articuler le point de vue des enfants à celui des adultes, c'est-à-dire l'expérience enfantine de la guerre vis-à-vis des discours et injonctions émanant des adultes, des États en temps de conflits.
À la question " que fait la guerre aux enfants ? ", la réponse paraît évidente : du mal. L'enjeu de ce livre et de l'exposition qu'il accompagne est d'accepter d'aller plus loin que l'évidence première, en dépassant le seul statut de victime. En d'autres termes, de complexifier l'analyse en réfléchissant aussi à ce que le temps de guerre peut représenter, pour certains enfants et adolescents, en termes d'opportunité, d'émancipation, de capacité d'action. En un mot : montrer que la guerre n'est pas traumatisante en soi, en soulignant la diversité des expériences enfantines, et en donnant du même coup leur juste place aux expériences traumatiques et paroxystiques.
L'ouvrage se décline en trois parties principales correspondant à trois invariants des expériences de guerre enfantines du début du XXe siècle jusqu'à nos jours : endoctriner, expérimenter et cibler. " Endoctriner " revient sur les différents processus d'endoctrinement auxquels sont soumis les enfants, de la Grande guerre à celle menée par l'État islamique, et à la réception qu'ils ont pu en faire, de l'adhésion au refus, de l'indifférence à la résistance. La partie " Expérimenter " s'attache à revenir sur la vie quotidienne en temps de guerre du point de vue des enfants, plus particulièrement aux différents bouleversements qu'ils peuvent subir, familiaux, matériels et émotionnels. En effet, les enfants en tant que civils deviennent des cibles de guerre au XXe siècle. À ce titre, ils expérimentent de multiples formes de violence de guerre : les bombardements, la présence de forces armées, les déplacements forcés, mais aussi la faim et les pénuries. " Cibler " est consacrée aux processus génocidaires au cours desquels les enfants sont particulièrement ciblés, avec les cas du génocide arménien, de la Shoah et du Rwanda. En effet, les génocides, en marge des guerres, inaugurent une autre forme d'atteinte aux enfants, cette fois-ci non pas en tant que civils mais en tant qu'enfants. En conclusion, un texte de l'historien Bruno Cabanes sur le lent avènement de l'enfant comme sujet de droit en temps de guerre.
Rassemblant les meilleur·es historien·nes, à commencer par Manon Pignot elle-même comme directrice d'ouvrage, l'iconographie, reposant essentiellement sur les riches collections de La contemporaine, mobilise autant les sources institutionnelles et culturelles que les productions émanant des enfants eux-mêmes : des objets (jeux, jouets, vêtements...), des photographies, des dessins, des albums familiaux, des affiches, des publications périodiques, des livres pour enfants et, dans une moindre mesure, des archives écrites (tracts, documents internes d'organisations caritatives et humanitaires). -
Alors que le mot " utopie " est au mieux paré des vertus du doux rêve, au pire rangé pour certains non loin des totalitarismes, l'historien Thomas Bouchet s'en empare, dans un voyage au sein de la littérature et de la théorie politique, afin de le recharger.
" Les six lettres d'utopie nous sont assez familières. Pourtant, il est difficile de déterminer quelle place le mot tient dans nos vies. Il paraît à la fois proche et lointain. Il est déroutant en lui-même car si en grec " topos " signifie " lieu ", le " u " initial peut être l'équivalent d'un " ou " et l'utopie serait alors le non-lieu (le lieu de nulle part), ou bien l'équivalent d'un " eu " et l'utopie serait alors le bon lieu (le lieu du bonheur). Il déroute aussi parce qu'il est environné d'une petite nébuleuse de mots dérivés, de qualificatifs, d'expressions apparentées. Utopie, mais aussi utopiste ou utopique. Utopie, pure utopie, belle utopie, folle utopie. Ceci est une utopie, cela n'est pas une utopie ou n'est qu'une utopie. Il y a aussi anti-utopie ou contre-utopie (mais quel lien entre ces deux-là ?), qui peuvent aussi accompagner utopie, ou s'y confronter, ou s'y substituer. Accommodée à toutes les sauces, l'utopie a été parée dans l'histoire de couleurs diverses voire inconciliables. Cela reste le cas aujourd'hui - on peut s'en convaincre en faisant le test auprès de proches ou de passants. Orange sur le mur de la Croix-Rousse, mais aussi rose ou rouge ou brune ou noire, verte comme l'écologie, jaune comme l'opposition populaire au président Macron et à son gouvernement. Ou arc-en-ciel. Certains la voient transparente, d'autres opaque. Ici claire, sombre là.Elle peut être désirée ou bien dénigrée, prisée ou bien méprisée. Elle peut s'employer avec le U majuscule de l'admiration ou de la peur, ou avec un u minuscule motivé par la confiance, l'attendrissement, la moquerie. Elle donne lieu à toutes sortes de parallèles, rapprochements, télescopages, mises à distance : avec idéologie (Karl Mannheim, Paul Ricoeur), rêve, mythe, réalité, fiction et aussi science-fiction, et même totalitarisme. Car utopie est aussi - et peut-être même surtout - ce qu'en font celles et ceux qui s'en saisissent. Ce mot-caméléon prend les teintes de ce qui l'entoure. " Vive l'utopie " pour les un·es, " à bas l'utopie " pour les autres : le mot est davantage polémique que descriptif et l'effet de brouillage n'en est que plus marqué. En bref : utopie est un mot vif et vivant, un mot qui ne tient pas en place et qui pour cette raison même nous est précieux. " Thomas Bouchet. -
La Paix des ménages - Histoire des violences conjugales XIXe-XXIe siècle
Victoria Vanneau
- Anamosa
- Chaki
- 7 Décembre 2023
- 9782381910796
Si la question des violences conjugales est aujourd'hui présente dans les médias et l'espace public comme un " fait de société ", nommé et condamné, leur lente définition n'avait été écrite. C'est chose faite avec ce livre, contribution majeure à la compréhension du XIXe siècle et à la définition de ces " brutalités domestiques ", et désormais disponible en poche.
À l'heure où les historiens s'emploient à revisiter la place de l'État dans l'organisation des sociétés, ce livre est une contribution majeure à la compréhension historique de la place du droit et de la justice dans le processus de pacification des moeurs qui tenaille tant le xixe siècle. Nourri des centaines d'affaires de violences conjugales dont les tribunaux n'ont pas cessé d'être saisis, il souligne la difficulté de saisir ces violences bien particulières, plonge le lecteur dans l'ambiance des tribunaux et fait le pari de se placer au plus près des magistrats qui traitent ces affaires. Y apportant des arguments solides et historiquement fondés, il permet également d'alimenter les débats citoyens et d'aller à l'encontre de certaines idées reçues : les hommes battus existent aussi, le xixe siècle ne fut pas que celui du " droit de correction " et peut-être, ayant fait de ces violences un " fait de droit " et non pas un " fait de société ", savait-il mieux les punir qu'aujourd'hui.