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Prix
Danièle Sallenave
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La splendide promesse : Mon itinéraire républicain
Danièle Sallenave
- Gallimard
- Blanche
- 27 Février 2025
- 9782073098412
Je suis une enfant des années d'après-guerre, élevée dans l'amour de la république, de ses principes, de ses symboles et de ses mythes au coeur de l'Ouest conservateur et clérical. Qu'ai-je fait de cet héritage, et qu'a-t-il fait de moi ? Je ne me donne pas en exemple, je raconte. Mon itinéraire, mon parcours dans une époque mouvementée. Fin de la guerre d'Algérie, mai 68, découverte du tiers-monde, chute du Mur, sursauts populistes d'une France en proie au mécontentement et au doute... Une rude mise à l'épreuve de l'idéal républicain. Des voyages, des rencontres, des engagements, des amitiés, des ruptures. Et pour finir une conviction têtue. La république n'est rien si elle oublie «la splendide promesse faite au tiers état», selon la formule de Mandelstam. Une promesse de justice, d'instruction et de progrès. D. S.
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«"Rue de la Justice", telle fut la dernière adresse d'une de mes arrière-grands-mères dans une petite ville des bords de Loire où elle travaillait sur un bateau-lavoir. Toute sa vie, elle conserva sur sa cheminée une gravure des obsèques nationales de Victor Hugo. Symbole de la confiance en la toute jeune république des "gens d'en bas", de leur soif de progrès, d'instruction et de justice. Tout le monde aujourd'hui se dit républicain mais la république a cessé d'être une promesse. Cette confiance pourrait-elle renaître ? Dans le récent mouvement des Gilets jaunes, il m'a semblé reconnaître le désir de reconnaissance et de dignité de ceux qui m'ont précédée. Faisant retour vers ces anonymes oubliés, émue par leur courage, attentive à leur leçon, j'ai cru pouvoir imaginer des réponses à l'insatisfaction générale et au besoin actuel de refondation.» Dans ce vivant portrait d'une femme simple et déterminée, Danièle Sallenave fait entendre une conviction tenace : il y a de l'avenir dans ce passé-là.
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Danièle Sallenave retourne dans sa région natale, l'Ouest conservateur et clérical de l'Anjou, pour retrouver ce qui caractérisait l'éducation républicaine qu'elle y a reçue au milieu du XX e siècle par ses parents instituteurs. C'est une certaine idée de la république, forgée au XIX e siècle dans la retombée des révolutions, la contre-offensive catholique et les débuts de l'expansion coloniale. En revisitant les lieux familiers de son enfance, elle fait renaître les combats et les aveuglements d'une époque. Les symboles de la République, son école dressée contre le pouvoir de l'Église et des châteaux. Ses idéaux de justice, d'émancipation. Son combat pour le progrès. Mais aussi ses limites. Le lourd passé de la guerre de Vendée. La contradiction entre les principes républicains et la réalité coloniale. Son universalisme abstrait. Dans ce livre, l'autrice propose de faire « le pari généreux d'une république postcoloniale, consciente de ses fautes passées, ouverte aux différences. Une république sociale, placée sous le signe de l'églantine rouge, autrefois fleur du 1 er mai ouvrier, chassée sous Vichy par le muguet, fleur de la Vierge Marie. »
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Il y a ce que disent les Gilets jaunes. Il y a surtout ce qu'ils révèlent. Cette manière de parler d'eux, dans la presse, les médias, les milieux politiques, sur les réseaux sociaux ! Une distance, une condescendance, un mépris. Danèle Sallenave Au miroir du mouvement des Gilets jaunes, l'élite politique, intellectuelle, culturelle a laissé voir son vrai visage. Début janvier 2019, le président promet d'éviter ces «petites phrases» qui risquent d'être mal interprétées, mais il rechute aussitôt. Les médias ne devraient pas, dit-il, donner sur leurs antennes «autant de place à Jojo le Gilet jaune qu'à un ministre». Ainsi se révèlent l'étendue et la profondeur de la fracture qui sépare les «élites» des «gens d'en bas». Fracture géographique, économique, politique et sociale. Et surtout fracture culturelle, entre les habitants des grandes villes, et tous les autres. La violence et les embardées de langage de quelques-uns ont jeté le discrédit sur les Gilets jaunes. Il ne faudrait pas qu'une élite, assurée de sa légitimité, en tire argument pour occulter la force d'un mouvement qui a fait entendre une exigence de justice et d'égalité, parfois confuse, mais toujours profondément démocratique. Retrouvant ainsi l'inspiration des grands sursauts populaires qui ont marqué notre histoire.
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«Jamais je n'ai eu autant besoin de connaître l'opinion de mes concitoyennes et concitoyens. Jamais je n'ai eu autant besoin de partager avec eux mes interrogations. Sur les attentats, leurs causes, leurs motivations. Sur les caricatures de Mahomet, aussi, disons-le franchement.»L'Innombrable, c'est celui qui ne profite pas de la fameuse liberté d'expression devenue la valeur majeure de la République. C'est celui à qui elle ne s'applique pas. Qui porte un invisible bâillon. Un des noms de ce bâillon est : légitimité. C'est très compliqué, cette question de l'accès à la parole, orale, écrite. De se sentir légitime, ou interdit. Qui la donne, la légitimité ? Et comment vit-on l'illégitimité ? La vraie inégalité est là. Entre ceux qui ont un accès à la parole et ceux qui ne l'ont pas.
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Ce portrait d'une femme engagée offre aux générations nouvelles une occasion saisissante de méditer l'héritage controversé de cet « âge des extrêmes » que fut le XXe siècle.
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Viol(six entretiens, quelques lettres et une conversation final
Danièle Sallenave
- Folio
- Folio
- 21 Juillet 1999
- 9782070408740
Mado habite à Saint-Colmer (Nord), dans une cité qu'on a construite en 1960 sur l'emplacement d'anciens jardins ouvriers. Une femme lui rend visite, la questionne, dialogue avec elle, recueille ses réponses, l'assiste. Mado parle ; elle raconte sa famille, sa fatigue, l'alcool, la vie sans horizons, son désarroi devant la solitude, mais surtout son amour pour Lucien, qui purge en ce moment une peine de dix ans de prison pour viol. Au fur et à mesure de leurs rencontres, on voit se fissurer le fragile barrage de vérités contradictoires que Mado, avec un acharnement farouche, tente de dresser contre ce mot unique et terrible : «viol». Petit à petit, elle s'achemine vers une insoutenable vérité.Le sujet véritable de ce livre est là : une femme parle, avec son langage à elle, restitué dans ses défenses, ses locutions, ses tournures. À travers cette parole sans intermédiaires, un monde se découvre, le monde des gens qu'on dit ordinaires, souvent trahi par la prétendue objectivité des témoignages bruts.Ici, c'est paradoxalement le détour d'une fiction qui vient lui donner tout son poids de vérité.
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Dictionnaire amoureux : de la Loire
Danièle Sallenave
- Plon
- Dictionnaire Amoureux
- 27 Mars 2014
- 9782259217446
Mille kilomètres de parcours et deux mille ans d'histoire : plus qu'un fleuve, la Loire, est une civilisation.
Mille kilomètres de parcours et deux mille ans d'histoire : la Loire est plus qu'un fleuve, c'est une civilisation. Charles d'Orléans, Du Bellay, Balzac, Maurice Genevoix, Julien Gracq et tant d'autres ont dit la douceur de son climat, ses étendues de sables blonds et la violence de ses crues. De la conquête romaine à l'occupation allemande en passant par la guerre de Vendée, la Loire a tout connu, tout surmonté.
Sa grande époque est la Renaissance, où le Val de Loire prend cette figure splendide que l'Unesco a classée en 2000 dans son patrimoine mondial.
Des montagnes de l'Ardèche aux schistes de Bretagne, dans l'alliance unique d'un paysage, d'une architecture et d'un art de vivre épicurien hérité de Rabelais, c'est le creuset de notre langue et notre histoire.
La Loire est une passion française, une composante majeure de notre identité. -
Les personnages des onze récits d'Un printemps froid sont saisis à un moment de leur vie où ils prennent conscience - parfois nous prenons conscience pour eux - de devoir affronter quelque chose qui leur donne le vertige : continuer de vivre ne peut aller sans un renoncement à l'espoir et à la promesse. Les plus lucides parviendront à en dominer l'amertume ; les autres s'enfonceront dans le renoncement, sans jamais rien attendre d'exceptionnel. Autour d'eux, leur donnant l'apaisement, le monde avec ses larges fleuves qui roulent leurs eaux lentes, des reflets qui bougent entre les saules, des villes au printemps, des ciels bas sous la neige.
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«Sibérie en russe c'est Sibir, du nom d'un petit royaume mongol défait par les Russes après la victoire d'Ivan le Terrible en 1552 sur les Tatars de Kazan. La Sibérie appartient à l'Europe par l'histoire et par la civilisation. Comment cela s'est imposé à moi, je le raconte jour après jour, tandis que sous mes yeux s'étire un paysage de forêts, de campagnes désertées, de grands fleuves, de villes géantes, de gares monumentales. Le printemps explose sur la trace enfouie des anciens goulags. Et le Transsibérien pousse l'Europe devant lui à travers dix mille kilomètres et neuf fuseaux horaires. Sibir ! Sibir ! chuchotent les roues.» Danièle Sallenave.
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«Je fouille et je bâtis : je dresse des plans que je ne suis pas, des cartes qu'une nouvelle découverte me fait modifier chaque jour. Je dresse des étais, j'écarte les déblais, je cimente, je mure, et de nouvelles brèches s'ouvrent, il me faut recommencer. L'énormité de la tâche ne me rebute pas : un temps viendra, je le sais, où le présent, le passé et l'avenir seront confondus dans un même mouvement puissant dont je ne serai plus exclu.»Danièle Sallenave.
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On dit que chaque jour, pendant trois minutes (les «trois minutes du diable»), le cours du monde est suspendu. Par cette brèche passent la folie, la ruse, la guerre, mais aussi la liberté, le rêve, l'audace, le plaisir. Ainsi, dans la nuit du 18 au 19 août 1991, tandis que les chars des putschistes pénètrent dans Moscou, des événements mystérieux se produisent. Dans un village français, un enfant mort réapparaît. À Turin, Monseigneur fait un cauchemar : on a volé le Saint Suaire ! Et trois misérables sont réveillés sur la place Rouge par la trompette du Jugement dernier. De Moscou à Paris, en passant par Varsovie et Berlin, une immense dérive gagne notre continent désaccordé. La guerre approche, des truands en tout genre trafiquent au long des routes. Dans leur croisade pour la reconquête du monde occidental, catholiques et orthodoxes rivalisent d'invention. Monseigneur peut dormir tranquille.
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Venise, 1893. Le passé glorieux de la ville est derrière elle, mais sa beauté dégradée demeure saisissante ainsi que la vie intense des quartiers populaires. Il ya là de quoi changer un destin, faire basculer une vie. Fille d'un pasteur de Nouvelle-Angleterre, Mary Gordon est venue à Venise avec la jeune fille dont elle est la gouvernante. Au moment de quitter la ville, ses couleurs, ses odeurs, la façade ruinée de ses palais, son histoire partout présente, elle a une révélation : elle ne repartira pas. Retrouver la Nouvelle-Angleterre ? Épouser un pasteur ? Tel est son destin de jeune femme douée, cultivée, mais pauvre ; elle dit non. Dire non est beaucoup. Après elle pourra dire oui. À la sensualité, à la vie, à l'amour... À la souffrance. À l'art. Elle partira suivre à Vienne l'aventure de l'Art nouveau ; reviendra à Venise, élèvera seule son fils. Se formant, mûrissant à travers les épreuves, finissant par devenir enfin ce qu'elle est : une femme libre, et un grand peintre. «La Fraga» est son mot d'ordre secret - interrogations fiévreuses, ruptures apparentes et farouche détermination.
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Pris dans les contrats et les contraintes d'une vie provinciale réglée, Pierre croit trouver en Laure la figure de l'amour idéal propre à résoudre toutes ses insatisfactions. Et Laure, dans son extrême jeunesse, répond avec élan à cette passion. Les après-midi secrets, les joies équivoques de la clandestinité se succèdent ; ont-ils pour autant rencontré la «vraie vie» ? Sont-ils condamnés au contraire à ne connaître qu'un simulacre de vie, une vie fantôme ?
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«Tu veux choisir l'enfer ? Alors, choisis-le, mais n'hésite pas, ne reste pas dans l'entre-deux, vas-y ! Hurle avec lui, déchire-toi, mais vraiment, et pas seulement du bout des ongles ! Déchire-toi, lacère cette chair vive, ne te ménage pas, ouvre les yeux ! Avance, appuie-toi sur moi, mais avance, je t'en prie, avance ! Ne regarde pas derrière toi, il n'y a que la séduction vile des abris, les familles, le repos sans grandeur. Moi, je n'irai pas plus loin, car au-delà d'un certain point, propre à chacun, il faut aller seul.Va, ne te retourne pas, tu ne risques rien que tu n'aies déjà perdu. Va, ne crains rien.»
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La vie éclaircie : réponses à Madeleine Gobeil
Danièle Sallenave
- GALLIMARD
- Blanche
- 7 Octobre 2010
- 9782070129768
Madeleine Gobeil m'a proposé il y a quelques années de réaliser avec elle une interview par courriel. J'ai longuement développé mes réponses et ce livre en est sorti. L'enfance, la formation, les livres, le théâtre, les amitiés, les amours, les voyages, la politique... Progressivement, une définition se dégage : écrire, c'est essayer d'ouvrir des brèches, des trouées, pour mieux voir, mieux comprendre, mieux sentir. C'est une manière de vivre. D'unifier, d'éclaircir la vie.
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Discours de réception à l'Academie francaise
Danièle Sallenave
- GALLIMARD
- Blanche
- 9 Décembre 2013
- 9782070143443
Suivi des remerciements de Danièle Sallenave prononcés à l'occasion de la remise de l'épée
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«Depuis des siècles les livres sont le legs des générations disparues - le don que nous font les morts pour nous aider à vivre. Dans notre culture, vivre sans les livres est donc une privation, un tourment qu'on ne peut comparer à rien. Sans les livres, toute vie est une vie ordinaire. Ne pas avoir l'expérience de la littérature n'empêche ni de connaître, ni de savoir, ni même d'être «cultivé» : il manque seulement à la vie vécue d'être une vie examinée. Car les Lettres, c'est notre langage métamorphosé ; ce sont nos mots : et voici que, dans le colloque singulier du livre et de son lecteur, s'ouvrent l'expérience élargie, et la pensée, et le rêve, et la possibilité d'être soi-même, véritablement, dans la communauté partagée. La pratique des livres n'est donc pas, dans notre vie, la part du rêve, un luxe gratuit, un loisir supérieur ou une marque de distinction. Et les intellectuels se trompent gravement lorsqu'ils s'emploient à en dénoncer l'élitisme au lieu de faire que s'ouvre au plus grand nombre le règne émancipateur de la pensée dans les livres.» Danièle Sallenave.
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Sibir ; Moscou-Vladivostok (mai-juin 2010)
Danièle Sallenave
- GALLIMARD
- Blanche
- 12 Janvier 2012
- 9782070136414
«Sibérie en russe c'est Sibir, du nom d'un petit royaume mongol défait par les Russes après la victoire d'Ivan le Terrible en 1552 sur les Tatars de Kazan. Symbole et départ d'une conquête et d'une colonisation de la Sibérie qui durera des siècles. Située en Asie par la géographie, la Sibérie appartient à l'Europe par l'histoire et par la civilisation. L'Europe ne s'arrête pas à l'Oural. Comment cela s'est imposé à moi, je le raconte jour après jour, tandis que sous mes yeux s'étire un paysage de forêts, de campagnes désertées, de grands fleuves, de villes géantes, de gares monumentales. Le printemps explose sur la trace enfouie des anciens goulags. Et le Transsibérien pousse l'Europe devant lui à travers dix mille kilomètres et neuf fuseaux horaires. Sibir ! Sibir ! chuchotent les roues.» Danièle Sallenave.
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Allure rapide avec le sentiment de l'inéluctable : Léningrad Rome : fragments Calcutta, 2 décembre 1990 « La ville des villes, c'est Rome. En elle se résument tous les épisodes symboliques de la vie d'une cité, devenus autant de mythes, source inépuisable d'histoires et de fables. La Fondation ; la Grandeur ; la Ruine ; la Restauration. Toutes les villes sont donc villes en ce qu'elles reproduisent l'une des figures successives de Rome : violence de l'acte destructeur (Leningrad née de la volonté cruelle d'un despote) ; violence de l'acte destructeur (Calcutta rongée par l'afflux des pauvres). Partout domine le sentiment d'une perte : l'âge de l'utopie est clos, la grandeur est toujours une grandeur disparue ; les vivants sont des survivants. À Rome naturellement la douleur est moins vive, et une joie naît lorsque dans les restes des architectures anciennes mêlés aux constructions présentes, les traces d'autrefois surgissent sous les pas d'aujourd'hui. » D.S.
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«Quelque horreur que puissent inspirer les attentats commis par des islamistes fanatiques, il serait extrêmement dangereux de faire de l'Islam, comme autrefois du communisme, le miroir où toutes nos difformités s'effacent. Ne renouvelons pas l'erreur de nous forger un ennemi pour éviter de nous interroger sur nous-mêmes. Quel modèle proposons-nous ? La pornographie funèbre d'un monde dominé par l'argent et le sexe. Des sociétés dépolitisées, sans défense contre la montée des communautarismes. Des sociétés délaïcisées, où sévit l'alliance explosive de la religion et de la technoscience : «dieu.com». Foyer de tous les obscurantismes. Il nous faut retrouver une parole libre. Désigner haut et fort la menace que font peser les communautés, les identités collectives, les religions sur la paix civile, l'avenir de nos sociétés et la liberté individuelle. Rappeler haut et fort qu'aucune religion n'est à l'abri d'un retour vers le fanatisme. Refuser le scandale d'une existence rivée à ses origines, d'une pensée asservie à des dogmes. Osons être en toutes choses des athées résolus, méthodiques et gais.
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À quoi sert la littérature ? Entretien avec Philippe Petit
Danièle Sallenave
- Textuel
- Conversations Pour Demain
- 24 Octobre 1997
- 9782909317359
Comment sauver tout ce qui nous vient des lettres et de la fiction? Comment ne pas céder à cette trop fameuse «perte de références» qui envahit aujourd'hui tous les discours sur la «culture jeune» ou sur le «citoyen consommateur» de produits culturels? Danièle Sallenave propose une défense de la littérature comme engagement philosophique et social et non comme posture d'élite.
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Passages de l'est - carnets de voyages 1990-1991
Danièle Sallenave
- GALLIMARD
- 5 Janvier 1993
- 9782070728299
«Prague.Je me suis arrêtée sur le trottoir mouillé, je relève mon col en surveillant de l'oeil l'arrivée d'un convoi de nuages chargé de pluie ; je tâte dans ma poche des tickets de bus. Par les fenêtres voilées d'un café, des têtes se découpent sur un fond de lumière orange et un bruit de musique disco. De l'entrée d'un immeuble parvient une odeur de viande bouillie, de charbon, de chou, de vieux linge, je passe. Je vais vers le fleuve et les ponts. Les premières lumières s'allument. La brume au-dessus de l'eau, chargée de jaune et de bleu par les échappements acides, sert de fond aux architectures de nuages qui doublent de leur fugitive et menaçante matérialité les coupoles, dômes, tours Renaissance et flèches noircies. Un tram remonte en grinçant la rue Nationale, vidée par le dimanche, brillante et noire après la pluie. Les nuages qui roulent au-dessus du toit doré du Théâtre parlent d'orages lointains, d'invasions, de guerre ; ils éveillent en moi l'idée d'une résistance impossible et désespérée.Est-ce que je ne ferais pas mieux de partir ? Qu'est-ce que je fais là ? Je pourrais être en ce moment à Rome, monter la douce courbe du Pincio ; ou chez moi, place d'Aligre, dans un café somnolent.Mais non, je suis là. C'est là que je dois être.»Danièle Sallenave.