Alors, dès cet instant, l'adolescente entre dans la photographie comme la foudre, et ce qui suit s'appelle une légende. Comme si on avait tendu un violon à un novice et qu'une sonate était sortie d'un coup.
«Un meurtre c'est fait pour que quelque chose s'arrête. Est-ce que c'est possible que les choses s'arrêtent, que ce ne soit pas toujours le même aplat de tout, sur le même ton, à la même vitesse qui vous avale, irrespirable, le souffle court, ne plus avoir d'oxygène au cerveau à force, est-ce que c'est possible que tout le monde se taise, que le bébé se taise, que sa mère se taise, que le dealer se taise, que les flics se taisent, que les juges se taisent, que tous ils se taisent. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent de lui, il leur donne son corps, mais qu'il puisse se taire, qu'ils le laissent ne plus répondre.»
Au coeur de l'Allemagne, l'International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d'investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu'elle élève seule depuis son divorce d'avec son mari allemand.
A l'automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé... Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l'Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?
Le bureau d'éclaircissement des destins, c'est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l'Europe. Une fresque brillamment composée, d'une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent.
Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été?
La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l'érable, mais elle n'entre pas dans la maison. Elle n'y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l'après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c'est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu'elle a de la chance avec la lumière d'octobre, la cour de la maison, l'érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu'à elle dans l'air chaud et bleu.
Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.
Regarder passer les bateaux sur le fleuve Douro, au Portugal, se promener dans la nuit de Kyoto, voir filer les poissons sous un petit pont de bois de Takayama, jouer au pachinko à Tokyo, marcher sur les rives d'un lac du Colorado, faire un tour à scooter dans Paris, flâner sur une plage normande, ça vous dirait? Ah, les voyages que ça permet, la lecture, ah, l'espace idéal que c'est, un roman, où on peut circuler d'un lieu à l'autre, librement.
Comment peut-on faire, en une heure, le bagage de toute une vie ? C'est la guerre ; des soldats ont l'ordre d'évacuer des civils qui doivent n'emporter qu'un seul sac. Il y a Manon et sa fille Jeanne, Paul, Marek, Shoresh, madame Dépalle, une famille nombreuse, deux âmes... Dans l'urgence des choix, le passé et le présent se mêlent, les êtres se révèlent, se montrent tels qu'ils sont. À quoi tient-on le plus ? Qu'est-ce qu'on ne peut abandonner ? Que veut-on transmettre ? Quel espoir peut encore briller ? Autant de questions qui traversent ce texte saisissant de par son intensité émotionnelle et sa force d'évocation. Un livre d'exode, d'aujourd'hui et de toujours, dans une langue à la fois concise et bouleversée.
À Rome, un homme fuit une foule enragée et se jette dans un bateau à destination de l'île d'Elbe. Il se réfugie dans une grotte et y reste retranché comme une bête pendant des mois. Cinquante ans plus tard, sa petite- lle part sur ses traces et retrouve son lieu d'exil. Entre ses mains, le journal intime de celui qui se voulait le protecteur des vieillards. Elle cherche à comprendre. Qu'a-t-il fui ? D'où venaient ses étranges inclinations ? Sur l'île, le cycle du soleil rythme les journées : à l'aube une vieille dame se baigne nue dans la mer étincelante, au crépuscule une autre femme parcourt son verger regorgeant de citrons, d'abeilles et d'abricots tandis qu'au loin, un groupe d'hommes entonne un Gloria.
Gloria, Gloria est un hymne sensuel et poétique qui nous convainc que la vieillesse tient davantage de l'aube que du coucher de soleil.
Une bête, autrement plus sauvage que les bisons et les loups, franchit le mur de la Wild French Reserve.Eva-Lou, jeune recrue de la WFR, veut être la première à l'atteindre de sa carabine. Nassim, journaliste écolo, veut faire son portrait avant tout le monde. Mais que veut la bête?
Justine Augier ("De l'ardeur", "Par une espèce de miracle"...) qui pratique et incarne une forme de pudeur et d'éthique littéraire assez uniques voit son projet d'écrire sur la littérature comme lieu de l'engagement entrer en collision avec la maladie et bientôt la mort de sa mère. Alors que la nature même de l'urgence mute, l'intime et l'universel se tressent dans un texte bouleversant de justesse et de clairvoyance. Et qui rappelle le potentiel devenir résistant de chaque lecteur.
À l'intersection du littéraire et du politique un livre bref et fulgurant qui trouve sa place entre Hannah Arendt et Joan Didion. Pas moins.
Contraint de quitter Beyrouth-Ouest dans un pays déchiré par la guerre civile, un adolescent s'installe avec sa mère et sa soeur dans un bungalow exigu d'une station balnéaire.
Janvier 1985, un mathématicien américain disparait dans le Chili de Pinochet, il a quarante-quatre ans. Né en URSS dans une famille juive, Boris Weisfeiler, surdoué, se résout à quitter sa famille pour pouvoir exercer librement les mathématiques aux États-Unis.
Homme taciturne à la silhouette longiligne, au large sourire, il part marcher seul dans les contrées les plus sauvages dès qu'il le peut.
Hannah est une Nisei, une fille d'immigrés japonais. Si son père l'a bercée de contes nippons, elle se sent avant tout canadienne ; alors pourquoi les autres enfants la traitent-ils de "? sale jaune ? " ?? Jack, lui, est un creekwalker, il veille sur la forêt et se réfugie dans les légendes autochtones depuis le départ de son frère à la guerre. Le jour où l'ermite tombe nez à nez avec un ours blanc au coeur de la Colombie-Britannique, il croit rêver - la créature n'existe que dans les mythes anciens.
Pourtant, la jeune femme inconsciente qu'il recueille semble prouver le contraire : marquée des griffes de la bête, Hannah développe d'étranges dons à son réveil. Des années 1920 à l'après-guerre, Marie Charrel brosse le portrait d'une Amérique du Nord où la magie sylvestre s'enchevêtre à la fresque historique. Contes japonais et légendes indigènes se lient dans une fabuleuse ode à la nature et à la fraternité.
«Pour me consoler, la petite fille revenue de la nuit pose sa main sur mon épaule, je la saisis mécaniquement:elle est fraîche et potelée, mais ce geste ne suffit pas à dissiper mes doutes. On pourra bien me dire que cette enfant a gardé son visage de la veille, que sa voix désordonnée reste inimitable, que cette pâleur dans les yeux c'est tout elle, comparer ne mène à rien. Cette enfant n'est pas la mienne.»Emma, la narratrice de ce roman, raconte le trouble qui la saisit en revoyant sa fille Nina, disparue plusieurs heures un soir de septembre. Quelque chose dissone dans leurs retrouvailles, un «presque-rien», provoquant chez Emma une vrille qui nous plonge dans une vertigineuse incertitude.
Naître ou ne pas naître, telle est l'unique question. Certains trépignent dans la coulisse, avides de couper le cordon, de bondir en scène, d'y camper un personnage, d'autres se demandent bien pourquoi, pourquoi on devrait s'arracher au farniente amniotique, encoconnés qu'ils sont dans le ventre maternel comme au coeur d'un doux hamac. Tel est notre anti-héros, le futur Charles Dubois, qui déplore plus que tout qu'il y ait une fin à la délectable somnolence foetale. Une nostalgie patente dès"son expulsion vers le monde"où il offre l'apparence non pas d'un baby démangé de vitalité, mais d'un"tas de gelée", un avorton amorphe qui, dès l'origine, fait tache dans une famille vouée au culte de l'effort et de la responsabilité. Tôt orphelin d'un général de père tué dans une accident de friteuse, pris dans l'impitoyable étau formé par une mère anxieuse et le volontarisme crispant d'une soeur musicienne, il est d'abord confié à la gutturale férule de Margrit l'Autrichienne qui échoue à viriliser ce garçonnet. Maillon mou de la chaîne sociale, il consterne comme il respire et sa scolarité s'avère un chemin de croix ponctué d'humiliations carnavalesques et de naufrages sentimentaux. Néanmoins, stratégie secrète et soupape mentale, Charles s'en sort en cultivant l'art des univers parallèles, se téléportant dans des mondes imaginaires qui assouvissent ses désirs fondamentaux : s'abstraire et se distraire. Marathonien de l'inappétence grandiose, oisif de droit divin, mais tenu d'assumer des rôles factices, on l'accompagnera néanmoins à l'université, à l'armée, d'emplois précaires en vocations passagères, seul, en famille ou soumis au parasitage inévitable d'un collègue. À tous, il n'oppose que sa flottaison molle dans un océan de lymphe. Frère des Bartleby ou des Oblomov, Charles Dubois, lecteur de Pessoa qui lui apprend"la dissidence envers la vie", incarne au mieux cette sentence d'Henri Michaux :"Ne faites pas les fiers. Respirer, c'est déjà être consentant". Le miracle est que, de cette vie monologuée avec une minutie distanciée, se dégagent un humour colossal et une mélancolie bouleversante.
Quand le cinéma et la vie s'allient pour fabriquer du romanesque féroce, l'oeil de l'écrivaine s'allume. Qu'ont en commun "Les Oiseaux", "Marnie", "Body Double", "Working Girl", "Le Bûcher des vanités" et "Cinquante nuances de Grey" ? Autrement dit, deux indéboulonnables classiques d'Alfred Hitchcock, la bande image des années 1980 et le plus grand phénomène de porno-soft de notre époque ? Leurs héroïnes : Tippi Hedren, Melanie Griffith, Dakota Johnson, trois femmes activement disparues de mère en fille...
Sur le mode d'une narrative non-fiction réinventée, Hélène Frappat signe une enquête arachnéenne sur le réel proprement surréaliste d'une lignée de stars hollywoodiennes maudites. Et nous fait *voir* comme jamais ce que nous avions pourtant sous les yeux *depuis le début*.
Un soir d'été, Juliette accouche, sidérée, d'un enfant qu'elle n'attendait pas. L'adolescente n'est pas une menteuse, jamais elle n'a consciemment caché quoi que ce soit aux yeux du monde. D'ailleurs, l'enfant n'apparaît pas, fruit lentement mûri, il fait irruption, s'impose dans l'instant, tapi qu'il était, insoupçonné, quelque part dans l'ombre des vertèbres, à l'affût dans un repli du ventre. Dans le clan Conti, coupable de ne pas avoir vu, l'onde de choc se propage : le père, Rafael, la mère, Agnès et la cadette, Chloé, tentent de respirer sous la vague qui les noie et les emporte. Né par césarienne, l'intrus est aussitôt rejeté par la lycéenne. L'Autre, c'est ainsi que Juliette appelle son enfant. Malgré l'amour et la présence des siens, Juliette sombre, fleurtant avec la folie. Jusqu'au jour où...
Bien loin des romans feel good suintant le sirop trop sucré des bons sentiments, le livre d'Hélène Machelon est un texte sauvage et tranchant qui explore l'intimité du corps et les violences de la maternité non désirée.